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toutes ensemble, dans la même page ou dans la même phrase, ne saurait l’être autant ; on ne peut vêtir d’un manteau aussi multicolore une science homogène et sérieuse. Quand notre auteur parle la langue de son sujet, la langue psychologique, il en combine les termes, comme au hasard de l’inspiration, avec des termes de mécanique, de physique, d’anatomie ou de physiologie vulgaire ; la réunion de ces élémens inconciliables engendre des expressions complexes et confuses dont l’étrangeté résiste à l’étude la plus impartiale et la plus consciencieuse et ne s’explique enfin que par les imperfections de la pensée qu’elles recouvrent. « Une science est une langue bien faite, » a dit Condillac. La maxime, sous cette forme absolue, est contestable ; mais il est certain qu’une langue mal faite est le signe d’une science mal conçue, d’une science dont la méthode est mauvaise et les bases mal assurées. Tel est malheureusement le cas ordinaire des psychologies physiologiques publiées en France, et M. Luys n’a fait qu’en exagérer les défauts habituels. Croirait-on qu’elle est d’un maître, du doyen actuel de la Faculté de médecine de Paris, la phrase suivante : « C’est par la mise en activité de la substance grise corticale du cerveau que se manifestent les divers phénomènes intellectuels[1] ? » Il faudrait dire tout au contraire : « L’activité de la substance grise corticale se manifeste à nous par les faits dits intellectuels. » Nous avons suffisamment démontré que, des deux phénomènes supposés correspondans, le phénomène apparent, connu, manifeste, est le phénomène psychologique ; le phénomène caché, inconnu, à découvrir, est le phénomène physiologique. Le connu ne se manifeste pas par l’inconnu, mais bien l’inconnu par le connu ; c’est même pour cela que la logique nous dit qu’il faut, en toute recherche, aller du connu à l’inconnu.

Mais ce n’est pas aller du connu à l’inconnu, ce n’est pas expliquer la psychologie par la physiologie, que mêler sans critique les deux sortes de phénomènes et les deux vocabulaires par lesquels on les désigne. Accolez une épithète anatomique au nom d’un phénomène intérieur ou une épithète psychologique au nom qui exprime soit un fait anatomique, soit une hypothèse physiologique, le résultat est le même : l’idée représentée par l’épithète n’ayant aucun rapport possible avec la chose à laquelle vous l’unissez ne pourra représenter une qualité de cette chose ; le substantif et l’adjectif étant contradictoires, leur alliance ne peut constituer qu’un non-sens. Ainsi raisonnement cortical, désir des couches grises, irradiation gaie, irradiation triste[2], sont des expressions condamnées éternellement à ne

  1. Vulpian, Physiologie du système nerveux, p. 700.
  2. Nous ne citons pas ; ces exemples sont théoriques.