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de lui faire entrer dans la bouche autre chose que du persil. Passe encore, s’il y avait toujours eu du persil dans le jardin, mais il n’y en avait plus depuis bien du temps. Aussi la femme demeura sans rien mettre dans sa bouche pendant trois longs jours. C’était un désespoir dans la maison. Voilà qu’arrive un colporteur, de ceux qui vont çà et là par la campagne, un peu au hasard, pour vendre des bagatelles, des épingles, du coton aux fermières. En voyant ces deux êtres à demi hébétés : « Oh ! qu’avez-vous ? dit le colporteur, vous avez l’air de fantômes ! — Eh non ! dit l’homme, ma femme, pauvresse, est grosse et ne peut manger que du persil ; mais tout celui du jardin est épuisé, et l’on n’en trouve plus par ici, si bien que depuis trois jours elle reste avec les dents sèches. » Le colporteur dit : « Je vous enseignerai, moi, où de persil, on en trouve à foison. A cinq ou six milles d’ici un seigneur a un jardin, clos de tous côtés, avec tous les biens de Dieu dedans et avec trois plates-bandes de persil épais et dru que c’est vraiment une merveille. Courez là au petit jour, vous aurez à manger à bouche que veux-tu. » Le garçon n’entendit pas en sourd, et le matin, quand le soleil n’était pas même levé, ayant pris avec lui un sac et une faucille, il alla chercher le jardin, et marche ! marche ! il y arrive. Mais il lui fallut de grands efforts pour grimper sur le mur haut et raide. En somme il réussit à y entrer. Il n’y avait pas âme vivante, et lui, vite, vite, coupa une demi-plate-bande de persil. Il en remplit le sac et, en route ! à la course pour le porter à sa femme, qui, toute contente, en eut de quoi se rassasier pour huit jours. Figurez-vous ! Maintenant il faut savoir que ce jardin, l’ogre l’avait en propriété, et, quand il sortit du lit et vit le pillage du persil, il lui prit une grande passion (colère), et il se mit à tempêter, criant à sa femme : « Descends, Cathò, descends ! viens voir qu’on m’a volé mon persil. Infâmes voleurs, me l’eussent- ils au moins demandé, s’ils en avaient besoin ! Mais me le voler est un trait de coquins. Si je vous y prends ! si je vous y prends ! vous reviendrez bien une fois ! » Alors, dans l’idée qu’on reviendrait, il dressa là, à l’écart, une hutte couverte de branches vertes, et il se mit à y faire sentinelle devant son persil. Au bout de huit jours, le persil était complètement avalé, si bien que le garçon, avec son sac et sa faucille, revint en cachette au jardin de l’ogre pour en faire une seconde provision. Mais à peine commençait-il à couper, voilà que l’ogre saute dehors et l’empoigne à la gorge. « Je t’y prends, malandrin, cria-t-il avec une grosse voix à faire peur à une troupe de madones, et maintenant tu n’échapperas pas, et tu auras à me le payer avec ta peau ! » Cela dit, il le traîne dans sa maison, et il rabattit contre terre pour le finir. Et il criait : « Allons, arrive, Cathò, il faut te manger sur-le-champ ! » Le gars, à ce fracas, se crut mort.