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victoire de la finance sur la noblesse, n’eût pas fait quelque peu trophée de ce billet ? Cependant ni les lettres authentiques de la marquise à Mme de Lutzelbourg, datées de cette époque à peu près, ni les Mémoires de Mme du Hausset, sa femme de chambre, ne font la moindre allusion au billet ; les archives de Vienne n’en renferment pas trace ; nous n’avons pas ouï dire qu’on l’ait retrouvé dans les nôtres. Enfin, dans une lettre originale, Marie-Thérèse elle-même a nié formellement qu’elle eût jamais écrit à la marquise : « Vous vous trompez si vous croyez que nous avons jamais eu de liaisons avec la Pompadour : jamais une lettre, ni que notre ministre ait passé par son canal. Ils ont dû lui faire la cour comme tous les autres, mais jamais aucune intimité. Ce canal ne m’aurait pas convenu[1]. » Supposons maintenant que l’impératrice fasse erreur, ce qui serait au moins singulier, la lettre étant de 1763, et Mme de Pompadour n’étant morte et n’ayant cessé de régner qu’au mois d’avril 1764 ; ou bien admettons qu’elle ait jadis écrit pour satisfaire la raison d’état, qu’elle ait depuis décidé de l’oublier pour réparer l’honneur, et voyons les pièces.

Il est bien certain que jamais, à aucune autre époque de l’histoire, de plus petites causes n’ont produit de plus grands effets qu’au XVIIIe siècle, ni de plus surprenans. Le XVIIIe siècle est entre tous le siècle de l’histoire anecdotique, et depuis ce verre d’eau que la duchesse de Marlborough, en un jour de colère, répandit sur la robe de la reine Anne d’Angleterre jusqu’à cette rencontre d’un Tallien et de Mme de Fontenay d’où sortit la journée du 9 thermidor, c’est un enchaînement de petits motifs qui semblent décider, — au moins quand on ne regarde qu’à la superficie des choses, — les résolutions les plus graves et les aventures les plus audacieuses. Il n’est donc pas indifférent de remarquer que dès longtemps avant qu’il fût question de la guerre de sept ans, je dis au fort de la guerre de la succession d’Autriche, Mme de Pompadour n’étant pas encore « déclarée[2], » le roi Louis XV avait déjà des griefs d’amour-propre contre Frédéric. Quand nos historiens racontent cette guerre de la succession d’Autriche, ils n’oublient guère de rappeler un billet que le roi de Prusse écrivit à Louis XV au lendemain de la victoire de Hohenfriedberg : « Je viens, disait-il, d’acquitter la lettre de change que votre majesté avait tirée sur moi à Fontenoy ; » pourquoi n’ajoutent-ils pas qu’au lendemain de cette même victoire de Fontenoy,

  1. Cette lettre, tirée des archives de Saxe et publiée pour la première fois en France par M. Depping, se trouve dans le livre de M. Campardon, Madame de Pompadour et la cour de Louis XV. Mais M. Depping et M. Campardon n’en ont cité qu’un fragment. M. d’Araeth l’a reproduite et complétée au tome VIII de son Histoire, p. 37, 38.
  2. La victoire de Fontenoy est du 11 mai 1715, et Mme de Pompadour ne fut présentée que le 15 septembre de la même année.