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« Pour Paris, je n’y remarque pas toute la chaleur qui y était autrefois en pareilles occasions. On y crie assez contre le Mazarin et la reine, mais on n’y fait rien de plus. Vous verrez par l’arrêt imprimé que je vous envoie ce qui a été fait au parlement contre le cardinal[1]. Depuis lequel temps on s’est encore assemblé une fois et l’on a ordonné que les autres parlemens seraient invités de donner pareil arrêt. M. le duc d’Orléans fit entendre à la compagnie qu’il serait à propos de prendre garde que ceux qui étaient saisis des deniers publics ne les emportassent à la cour, mais ces messieurs n’y voulurent pas mordre. Je n’opinai pas à cet arrêt plus qu’au premier. »

Comme on le voit, le coadjuteur refusait de prendre part aux arrêts contre Mazarin par un avis ou par un vote ; mais il ne négligeait rien secrètement pour pousser le parlement aux mesures les plus extrêmes contre lui. « Le Mazarin, poursuivait-il, a déjà fait six journées de marche en France ; il était avant-hier à Épernay. Il est entré avec quatre ou cinq mille hommes de cavalerie ou infanterie, qui marchent avec quatre pièces de canon. M. le prince a repassé la Charente avec ses troupes, et l’on croit, s’il n’est pas d’accord, qu’il y aura peut-être combat.

« Je ne sais si je vous ai mandé ce qui s’est passé entre M. le nonce et moi en présence de M. l’évêque de Châlons[2], il y a déjà quinze jours. Je lui dis, en parlant des longueurs du pape, que, si je n’étais pas homme pour mériter d’être cardinal sur une première nomination, j’étais peut-être trop glorieux pour y prétendre pour une seconde. A quoi M. de Châlons ajouta qu’il était vrai, et que, sans ma considération, le clergé de France aurait bien fait connaître au pape qu’il est peu satisfait du mépris qu’il leur témoigne depuis si longtemps. Cela étonna fort le bonhomme. Je ne doute pas qu’il n’en ait écrit, et pourtant j’estime que cela ne fera pas mauvais effet. Tenez pourtant le secret à cet égard.

« Témoignez toujours que vous appréhendez une révocation, tant parce que je me suis fort emporté contre le Mazarin, qu’à cause que l’on soupçonne qu’il soit raccommodé avec M. le prince. Vous pouvez aussi parler hautement sous le nom de M. le duc d’Orléans et au mien. Ce n’est pas, entre vous et moi, que je croie que ma nomination soit sitôt révoquée, mais il est pourtant bon que vous agissiez de la façon que je vous dis.

« Caressez toujours bien M. Chigi, et ne laissez pas aussi échapper les occasions que vous avez de profiter de votre négociation avec la princesse de Rossano ; n’y épargnez rien… »

  1. Arrêt du parlement contre Mazarin et ses adhérens du 13 décembre 1651.
  2. Félix Vialart de Herse, évêque de Châlons depuis le 6 juillet 1642. Il était un des plus intimes amis de Retz, quoiqu’ils fussent de mœurs fort différentes.