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avait rejeté dans sa procédure l’usage des compurgatores ; si tout d’abord elle ne condamna pas absolument les ordalies, elle y recourut peu et s’empressa d’abandonner ce procédé superstitieux, auquel le peuple demeurait attaché, pour n’accepter que le jugement du bon sens et de la raison. Ce qui contribuait sans doute à la faire agir ainsi, c’est qu’elle avait dans son discernement et ses lumières une confiance que le pouvoir laïque n’avait point encore. Sa mission, elle la regardait comme divine, et son jugement continuait d’être le jugement de Dieu. Mais cette haute autorité, cette sorte d’infaillibilité de l’église faisait d’autre part à l’accusé une position plus dépendante et plus humble que celle qu’il avait devant un tribunal composé de ses pairs et où, comme je le disais précédemment, il était plutôt en face d’arbitres que de juges. En comparaissant devant la juridiction ecclésiastique, l’inculpé n’était plus un simple défendeur soutenant son droit ; c’était un prévenu dont le juge devait certes ne pas méconnaître l’innocence, si elle venait à être établie, mais dont aussi, par une enquête attentive et minutieuse, inquisitio, il avait le droit de rechercher tous les actes, contre lequel il pouvait employer tous les moyens d’information. Par les mesures qu’elle entraînait, cette enquête ou inquisition mettait en fait l’accusé sous le coup d’une présomption de culpabilité. Le prévenu était soumis à une série d’épreuves qui l’enlaçaient, pour ainsi parler, de toutes parts, dont il ne lui était pas permis de surveiller la marche et de combattre les effets par un contre-système de défense. Ce n’étaient pas seulement des témoignages oraux qui venaient déposer contre lui et qu’il pouvait contredire, c’étaient des aveux, des dénonciations secrètes que l’enquête appelait et dont l’accusé était dans l’impuissance de neutraliser par avance les conséquences. Les témoins cessèrent ainsi d’être entendus publiquement devant le tribunal ecclésiastique ; on se borna à les faire jurer en présence des parties, et l’on reçut en secret leurs dépositions, qui furent consignées par écrit, car, comme ici c’étaient des clercs, c’est-à-dire des gens lettrés, et non des officiers souvent ignorans et grossiers qui siégeaient, les documens écrits jouèrent un plus grand rôle, et ces documens ne furent que plus dangereux pour l’accusé : verba volant, scripta manent. Si l’inculpé avait des récusations ou, comme on disait jadis, des reproches à exercer, c’était seulement au moment où les témoins juraient de dire la vérité qu’il le pouvait faire. Cette façon de procéder, que devaient préconiser les clercs, qui commencèrent à figurer dans les cours laies quand celles-ci devinrent permanentes et eurent des juges proprement dits au lieu de jurés, fut adoptée en diverses circonstances par les juges du roi et des seigneurs, et, ainsi que l’a remarqué Montesquieu, elle s’établit peu à peu ; mais ils n’osèrent pas tout d’abord l’imposer de