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vous conservez l’argent, vous la marine, vous les troupes, et moi la réputation de l’état, surtout la réputation de probité et de bonne foi. » C’est en effet par sa diplomatie que l’ancienne France s’était élevée au rang qu’elle occupait en Europe depuis le XVIIe siècle. Et les hommes chargés de continuer la politique de Richelieu et de Mazarin, la politique des traités de Westphalie, ces hommes avaient le droit d’être fiers de leur rôle.

Sous Louis XVI, le ministère des affaires étrangères fut confié pendant treize ans au comte de Vergennes, diplomate de carrière, ancien ambassadeur à Constantinople et à Stockholm, qui avait une longue pratique des affaires. Vergennes fut choisi dès l’avènement de Louis XVI et grâce à l’appui de Maurepas, qui pensait trouver en lui un collègue peu embarrassant, il apporta au ministère les qualités sérieuses qui l’avaient fait remarquer dans ses ambassades, et quand, sur la foi de certains historiens, on est tenté de le taxer de médiocrité, il faut se rappeler qu’il eut l’honneur de diriger la diplomatie française pendant la guerre de l’indépendance des États-Unis d’Amérique, et de signer le traité de 1783, qui jeta un dernier reflet de gloire sur notre ancienne monarchie.

À cette époque, le ministre des affaires étrangères, de même que ses trois collègues, demeurait au château de Versailles. L’appartement du comte de Vergennes, vaste et riche, ne comptait pas moins de vingt et une pièces, non compris le logement de vingt-neuf domestiques. Le traitement était proportionné : d’après les documens conservés dans les archives, le comte de Vergennes touchait 433,000 livres par an, somme considérable, surtout si l’on tient compte de la valeur de l’argent à cette époque; mais aussi que de charges de tous les genres! Le ministre devait représenter dignement aux yeux des étrangers la France et son roi. De là un luxe d’équipages et de table dont rien n’approche aujourd’hui. Il tenait table ouverte pour les ambassadeurs et les étrangers de marque, et de ce chef seulement les dépenses étaient énormes. Aussi le ministre devait-il avoir une fortune patrimoniale importante, sous peine de ne pas pouvoir équilibrer son budget.

Les bureaux du ministère n’étaient pas réunis sous le même toit. Seuls les bureaux politiques étaient au château, et communiquaient par un escalier particulier avec l’appartement du ministre. Les autres étaient installés à l’hôtel des affaires étrangères, construit par Choiseul, et devenu aujourd’hui la bibliothèque de la ville de Versailles. C’est là que l’on conservait le dépôt des affaires étrangères, collection de toute la correspondance diplomatique de la France, doublement précieuse à une époque où les traditions de la diplomatie n’avaient jamais été interrompues. C’est là que, sur une