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les oreilles au premier abord, mais que son étrangeté même finit par rendre agréable. Pour ce qui les touche, les Basques ne voient rien au-dessus de leur musique nationale et la préfèrent de beaucoup aux accords les plus mélodieux de nos cornets et de nos violons. Chaque village possède un tamborilero attitré, payé par la municipalité; cette charge se transmet de père en fils, et si le titulaire n’a pas d’enfant, il est tenu d’apprendre son art et les airs de tradition à quelque jeune garçon du pays qui doit lui succéder un jour; en cas subit de déshérence, la place est mise au concours. A Azpeitia, à l’occasion de la fête, ils étaient deux jouant de concert: un troisième, muni seulement d’un tambourin un peu plus gros et de deux baguettes, les accompagnait d’un roulement continu pour donner plus de corps à leur musique. Le talent du tamborilero consiste bien moins à imaginer des mélodies nouvelles qu’à connaître à fond le répertoire des temps passés ; ainsi sont parvenus jusqu’à nous un grand nombre de vieux airs, destinés, soit à célébrer quelque événement glorieux, soit à rehausser l’éclat d’une cérémonie; tels sont, pour ne citer que les plus connus, la Marche cantabrique, d’une antiquité fabuleuse, l’Espata-dantza ou danse des épées, composée en l’honneur de l’empereur Charles-Quint, celle dont les habitans de Fontarabie fêtent encore leur valeureuse défense de 1638 contre le prince de Condé, la Sonate des Alcades et la Marche de Loyola.

Le 31 juillet, au matin, je fus réveillé par les accords du fifre et du tambourin passant sous mes fenêtres. C’étaient les tamborileros qui, selon l’usage, venaient nous régaler d’une aubade, et annoncer à la population et aux visiteurs la grande solennité qui se préparait. Je m’habillai promptement et descendis pour visiter la ville; elle n’est pas grande, et n’a rien que je n’eusse déjà vu cent fois : vastes maisons de pierre aux toits immenses, aux écussons gigantesques, longues rues parallèles et petit pavé, mais il y régnait alors un air de fête qui la faisait paraître et plus riche et plus belle; des deux côtés de la chaussée, les uns à terre, les autres sur de petits tréteaux, les marchands forains étalaient leur pacotille ; au milieu se poussait la foule, houleuse comme la mer, avec un grand bruit de voix, de rires, d’appels en langue basque; les jeunes gens coiffés de bérets rouges qui éclataient sur le fond sombre des vêtemens comme les coquelicots dans un pré, les jeunes filles en jupon court et les cheveux tressés. La beauté des femmes de cette vallée est passée en proverbe dans toute l’Espagne, et il en est peu en effet qui, pour la régularité des traits, la perfection des formes, la grâce de la démarche et du maintien, ne pussent servir de modèle. Tout à coup un mouvement se fait dans la foule : c’est la municipalité qui