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mais, n’ayant ni talent ni aptitude, il avait eu le bon esprit de cesser de vouloir être artiste et était devenu artisan ; il avait fait des décorations céramiques et des peintures sur laque ; il gagnait assez convenablement sa vie et aurait pu fort honorablement subsister de son travail, lorsqu’il eut la malencontreuse idée de s’établir, de monter un atelier, d’être patron et de quitter le bon outil qu’il avait entre les mains pour avoir l’honneur à son tour de « diriger une maison. » Les qualités du maître : l’économie, l’intelligence, le vouloir persistant, lui faisaient défaut ; il était naturellement irrésolu, aimait à boire et n’apportait pas dans son commerce une délicatesse scrupuleuse, car il reproduisit sans autorisation un dessin dont la propriété exclusive appartenait à un grand éditeur de gravures. Celui-ci fit un procès, et Augustin Ranvier fut condamné à des dommages et intérêts. Au lieu de redoubler d’efforts et de réparer par son travail la perte d’argent où sa légèreté, pour ne dire plus, l’avait entraîné, il rumina des projets de vengeance, parla de « la revendication des droits du travailleur, » se grisa plus encore que de coutume et fut mis en faillite. De ce jour il fut perdu. Il s’en prit à l’état social dans lequel il vivait, à « la tyrannie du capital, à « l’égoïsme des classes dirigeantes. » Il rechercha les hommes de désordre, s’affilia aux sociétés secrètes, devint orateur de clubs et fit si bien qu’il fut condamné à la prison vers la fin de l’empire ; le 4 septembre le libéra.

La chute de l’empire, qu’il accusait de tous ses maux, ne lui suffit pas ; il était affilié à l’Internationale, qui liquiderait la question sociale, et lié avec Gustave Flourens, qui résoudrait le problème politique. C’était assez dire qu’il appartenait à la violence dans ce qu’elle a de moins justifiable. On le vit bien au 31 octobre ; il fut un des envahisseurs de l’Hôtel de ville et un de ceux qui demandaient que l’on « jetât le gouvernement à la Seine. » À ce moment, il était commandant du 141e bataillon ; il fut révoqué, ce qui n’empêcha pas les électeurs de le nommer maire du XXe arrondissement. Il était failli non réhabilité, c’était un cas d’incapacité ; on en profita, et l’élection fut annulée. Dès lors il réclame l’établissement d’une commune afin de la substituer au gouvernement de la défense nationale. Le 29 décembre 1870, il signe la fameuse affiche rouge : « Place au peuple ! place à la commune ! » Arrêté, il est délivré le 21 janvier en même temps que Flourens. Le 18 mars, c’est lui qui s’empare de l’Hôtel de ville. Il avait une certaine astuce dont il donna preuve le 20 mars en qualité de membre du comité central, car c’est lui qui rédige l’avis par lequel on prévient la population que « les versaillais ont expédié des repris de justice à Paris pour commettre des méfaits, pour ternir l’honneur du peuple. » Il avait prévu sans doute les excès auxquels lui et