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adopté, avec ou sans perfectionnement, la méthode des hauts-fourneaux. En 1855, les Ibarra créèrent sur le Nervion la fabrique du Désert, qui devait en quelque sorte servir d’exemple et de modèle aux industriels du pays. Deux ans après, en 1857, comme l’exploitation du minerai se faisait dans des conditions aussi mauvaises que la fabrication du fer, la députation du Señorio la première eut l’idée de construire une voie ferrée qui, desservant les petits propriétaires des environs, irait chercher le minerai au cœur de la mine et le conduirait au lieu d’embarquement. Le mont Triano forme une ligne ondulée, bien qu’à quelque distance sa croupe puisse paraître parfaitement unie ; la base en est irrégulière et il doit avoir environ cinq ou six lieues de tour. A Triano, un spectacle imprévu frappa mes regards : ce n’était plus cette régularité méthodique que j’avais admirée à Galdámes, mais quelle activité, quelle animation ! La voie ferrée ne peut, sans doute à cause des difficultés du sol, s’élever jusqu’au sommet de la crête, elle s’arrête au pied, à Ortella, et l’on y transporte le minerai, à mesure qu’il est arraché de la mine, dans des chariots longs traînés par des bœufs ; toute la journée, ces chariots, au nombre de plus de mille, montent et descendent avec des grincemens plaintifs, et forment au long de la pente une procession sans fin. Des ouvriers sont continuellement occupés à recharger la route usée par ce frottement incessant ; malgré tout, le sol n’est qu’une poussière où les roues des chars s’enfoncent jusqu’à l’essieu, les bœufs jusqu’aux genoux : une poussière fine, rougeâtre, faite des débris impalpables du minerai. Et cette poussière est partout, pénètre partout ; le pays entier en est comme saupoudré ; les champs, les arbres, les maisons, les moindres ustensiles de ménage, la peau des animaux et jusqu’à celle des gens, tout est couvert d’une couleur de rouille indélébile. Il me manque d’avoir vu les mines par un temps de pluie, mais j’imagine l’épouvantable bourbier que cela doit faire. Pourtant je préférerais encore cet aspect à celui des mines de charbon, où tout est noir comme la nuit.

L’exploitation s’étend sur une longueur de plusieurs kilomètres, elle se fait sur un grand nombre de points à la fois, indépendans les uns des autres ; toute la montagne n’est réellement qu’un immense bloc de fer ; en certains endroits, le minerai est si riche qu’il a tout l’aspect du métal le plus pur. Aussi se borne-t-on, là aussi, à le détacher par blocs au moyen de la poudre ; peu à peu, dans ce travail à air libre, les ouvriers auront fait disparaître les anciennes galeries, dont quelques-unes sont fort vastes et remontent à plus de vingt siècles. Pendant que je recueille ces détails, un contremaître me fait signe de m’écarter, les trous de mine ont été creusés, les pétards sont en place, il ne reste qu’à mettre le feu ; à un signal