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rassante pour le cabinet que pour la chambre ; ou bien, malgré tout, le ministère voudra aller jusqu’au bout sans raisons nouvelles, sans provocation, et il gardera devant le pays la responsabilité d’une initiative hasardeuse, d’une agitation électorale de trois mois, d’une crise pénible inévitablement infligée à toutes les affaires.

Qu’on y réfléchisse bien à ce moment extrême, dans ces quelques heures qui nous séparent encore de la prochaine réunion des chambres : c’est tout simplement une affaire de conduite. S’il y avait dans le gouvernement une pensée suspecte, quelque dessein menaçant de violence et de coup d’état, alors il n’y aurait plus à délibérer, il n’y aurait qu’à résister ou à prévenir, si on le pouvait. Fort heureusement il n’en est rien, il n’y a aucune menace sérieuse, aucune intention de trancher le conflit par la force, et la meilleure garantie qu’on puisse avoir de la sincérité des déclarations du gouvernement, c’est qu’il n’y a nulle part une possibilité de coup d’état. Il ne reste donc qu’une situation où, selon le mot si souvent répété, si juste de M. Thiers, la victoire doit encore une fois rester aux plus sages, et la modération de la chambre des députés serait aujourd’hui d’autant plus opportune, d’autant plus efficace qu’elle commencerait par peser sur le sénat le jour où il aurait à se prononcer définitivement sur une proposition de dissolution.

Il ne s’agit pas de céder à des impétuosités de parti et à des passions de combat, de livrer une fois de plus la France aux conflits des politiques extrêmes toujours prêtes à s’entre-choquer ; il s’agit au contraire de préserver le pays de ces chocs dangereux, qui n’ont d’autre résultat que de créer des situations sans issue, de ménager la possibilité des transactions nécessaires, et sous ce rapport, les derniers événemens eux-mêmes, ces événemens de mai, sont faits pour éclairer tout le monde : ils ont pour tous ceux qui veulent voir une moralité évidente, frappante, ils prouvent que, si la solution de nos difficultés n’est pas dans ces brusques explosions d’autorité, dans ces soubresauts de réaction, elle n’est pas non plus dans les prétentions incohérentes d’une majorité mal réglée, trop disposée à suivre tous ses caprices et ayant comme un goût invincible d’agitation. Non ; la solution n’est ni dans les coalitions arbitraires, éphémères de bonapartistes, de légitimistes, de cléricaux, marchant ensemble au combat contre les institutions, ni dans le radicalisme, compromettant ces institutions par ses intempérances. Qu’on se plaise à troubler le pays de ces dilemmes, à le placer sans cesse entre M. le maréchal de Mac-Mahon et M. Gambetta, c’est une fiction intéressée des partis extrêmes. S’il y a une solution, elle est, aujourd’hui comme hier, comme il y a deux ans, comme il y a cinq ans, dans l’intervention active, croissante de ces partis moyens sensés qui s’agitent perpétuellement entre toutes les extrémités sans réussir à se rejoindre, dont la dispersion ou l’inertie est justement une des