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valoir contre leur assujettissement à la Porte, l’oppression de leur nationalité doive être comptée sérieusement.


III

Après l’échec de chacune des nombreuses démarches entreprises pendant ces deux dernières années par le groupe politique qui se donnait mission de mettre la Porte en demeure au nom des Crétois, les journaux grecs prédisaient la guerre civile. Cette nouvelle causait une certaine émotion à Constantinople ; mais ceux qui voyaient les choses de près comprenaient bien qu’il n’y avait pas lieu de s’alarmer et affirmaient contre toute information contraire le maintien de la paix. Les grands mots coûtent peu en Levant, et nulle part la distance n’est plus longue entre dire et faire. Aussi, il y a un mois, à la question souvent posée : — la Crète se soulèvera-t-elle ? — pouvait-on répondre hardiment qu’elle ne bougerait pas, si le mot d’ordre ne venait d’Athènes et si l’Épire et la Thessalie ne prenaient l’initiative de la révolte ; ces deux conditions du soulèvement, auxquelles la guerre maintenant commencée donne une probabilité plus grande, semblaient alors lointaines encore.

Quand l’on porte ses regards sur l’avenir pour tâcher de pressentir quelle influence les complications actuelles peuvent exercer sur la question crétoise, on arrive à penser que le premier résultat d’une victoire des Turcs sera de maintenir l’île dans la plus complète soumission. Si au contraire la fortune tourne contre eux, et si, comme on a tout lieu de le craindre un cas pareil échéant, la conséquence de la défaite doit être l’affaiblissement du prestige de l’autorité, — si de plus l’écho de l’insurrection éclatant ailleurs se propageait jusqu’en Crète, nulle considération de prudence n’empêcherait les villageois des Monts-Blancs de se grouper à un de leurs rendez-vous séculaires et de commencer les hostilités. Or, dans le cas même où l’autorité turque pourrait être surprise par l’insurrection comme elle l’a été en 1866, cette prise d’armes aurait pour les chrétiens les suites les plus funestes. Les pallikares, qui affluaient il y a dix ans, sont aujourd’hui morts, dispersés ou exilés. La population de Sphakia, de Lakkos, de Mylopotamo, jadis les foyers de la révolte, est diminuée de plus de moitié. Il n’est pas probable que plus de 3,000 ou 4,000 hommes répondent au premier appel : ce seront les zélés ; quant aux tièdes qu’un premier succès amènerait dans leurs rangs, ce seraient de médiocres recrues. On ne manquerait pas de donner pour chef à ces bandes un des deux ou trois héros de l’insurrection de 1866, actuellement en exil à Athènes. C’étaient de simples montagnards ; mais on peut s’en rapporter à la vive imagination hellénique pour ne plus chicaner,