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on est frappé par la lueur vive de trois bougies qui s’agencent en triptyque parfait au-dessus des figures. Il n’y a vraiment là de remarquable que l’ingéniosité du peintre à mouler en fonte sa signature dans les capricieux dessins du balcon ouvragé.

Quelle chatoyante robe bleue porte la jolie Incroyable du Rendez-vous de M. Morlon ! mais combien nous préférons à la grâce minaudière de cette grande figure la simplicité rustique et la candeur virginale de la fillette de M. Jundt ! Cela s’appelle Fraises des Alpes. Noyée dans l’atmosphère vaporeuse de l’aube, une jeune fille, dont le frais visage respire la pureté et l’innocence, tient à chaque main un panier de fraises de bois qu’elle vient de cueillir. Mille fleurettes multicolores émaillent l’herbe encore humide de rosée. Il est fâcheux que M. Gustave Jundt, qui modèle assez bien les figures et qui sait admirablement envelopper les silhouettes dans l’air ambiant, ne soigne pas un peu plus son dessin. Il a donné à sa chercheuse de fraises un bras de bois qui fait une invalide de cette jolie enfant. Fraises des Alpes est moins une réalisation qu’une impression, mais c’est une impression sans pareille de fraîcheur et de poésie. M. Jundt, lui aussi, est un impressionniste, de la façon qu’il le faut être. Il donne l’effet de ce qui est une impression dans la nature, tandis qu’au contraire les impressionnistes cherchent à donner l’effet de ce qui dans la nature n’est pas une impression. Nous avons souvent rencontré des passans avec des parapluies, et ils ne nous ont jamais causé la moindre impression. Pourquoi donc l’Homme au parapluie de M. Caillebotte nous en causerait-il une ?


IV

Pour être aujourd’hui traitée en genre historique, un peu dans la manière d’Hippolyte Bellangé, la peinture de batailles n’en mérite pas moins une place d’honneur. MM. de Neuville, Détaille, Dupray, Protais, Berne-Bellecour, forment toujours la brillante tête de colonne du régiment ; mais, parmi ses compagnons d’armes, M. de Neuville conquiert chaque année au grade nouveau. Le voici passé général avec son Épisode de la bataille de Forbach.

Le combat est engagé sur une voie ferrée encombrée de wagons. Il s’agit pour nos soldats de débusquer l’ennemi abrité dans les maisons qui bordent, à la station de Styring, la ligne du chemin de fer de Sarrebrouk. Un mur, trop élevé pour qu’on en tente l’escalade, s’étend le long de la voie. Un seul passage est praticable : une étroite passerelle de fer, absolument découverte, et où on ne peut passer que deux hommes de front. Une grande maison carrée, que les Prussiens, fermant les persiennes, matelassant les