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d’impartialité supérieure, par l’indépendance, — et, mieux que tout autre, peut-être précisément parce qu’il n’était rien qu’un homme de bonne volonté, il était fait pour une création de ce genre.

S’il eût été un écrivain engagé dans les luttes du temps, il aurait eu ses préférences, ses exclusions, ses fétichismes, ses fantaisies, et il n’aurait réussi qu’à faire une œuvre d’école ou de coterie. S’il eût été un politique classé, enrégimenté, il serait devenu l’esclave des combinaisons de circonstance, des majorités, des ministères, des ambitions, des intrigues, et il n’aurait fait qu’une œuvre de parti. S’il n’eût été qu’un industriel cherchant l’occasion d’une affaire, il aurait tout subordonné à l’intérêt d’industrie, et il n’y aurait eu qu’une spéculation banale de plus. François Buloz entendait tout autrement la tâche à laquelle il se dévouait. Ce qu’il avait dans la pensée, c’était une œuvre libre, indépendante, ayant par elle-même sa raison d’être, sa force et son inspiration. La Revue des Deux Mondes n’a été que la réalisation continue, croissante de cette idée à travers trois ou quatre révolutions, au milieu des difficultés de toute sorte, et si François Buloz, après les humbles commencemens de 1831, est devenu si vite l’âme et la tête de l’entreprise, c’est qu’il a montré aussitôt ce qu’il pouvait. Si malgré le concours des associés successifs qu’il a eus dans les premières années il est resté le seul et réel fondateur de la Revue, c’est que seul il lui a donné son caractère, son esprit, sa direction ; seul il en a fait, comme il en avait l’ambition, une sorte d’institution permanente de haute culture intellectuelle, un organe accrédité allant porter à tous les coins du monde la langue et les idées de la France. Il a eu l’honneur jusqu’au bout, après avoir eu la peine dès le premier instant.

Tout se réunissait, il est vrai, à cette date heureuse de 1831, dans ce temps de modestes débuts, d’espoirs sans limites et d’efforts aussi désintéressés qu’énergiques. Tout avait un air de nouveauté, le régime qui naissait avec la confiance d’être la victoire définitive, la réalisation sincère du libéralisme constitutionnel, les talens qui grandissaient au théâtre, dans la poésie, dans le roman comme dans la critique et dans l’histoire, les idées qui germaient de toutes parts. S’il y avait un danger, il ne pouvait être que dans l’excès de vie, dans la confusion d’un avènement tumultueux. L’art d’un fondateur de revue était de profiter de ces forces nouvelles, de savoir prendre position, pour ainsi dire, au cœur de ce mouvement, en un mot, de faire dans des proportions plus étendues, avec plus d’ensemble et de suite, ce que le Globe avait fait un instant sous la restauration, ce que des recueils plus récens, notamment la Revue de Paris, venaient de tenter. Engagé dans cette redoutable partie