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article d’un traité dont elle n’avait elle-même jamais rempli les obligations. Aussi la Porte a-t-elle toujours faiblement contesté ce droit de l’Europe, et, au lieu de s’opposer catégoriquement à ce qu’il fût exercé, l’a-t-elle tacitement reconnu en admettant dans sa capitale même une conférence internationale à la discussion de ses propres affaires. Si l’Europe ne s’est pas servie d’une prérogative que lui conféraient les fautes et l’impuissance de la Turquie, ce n’est certes point par scrupule, c’est par indécision, par manque d’union, par crainte de ne pouvoir maintenir une entente dès qu’on oserait passer des paroles à l’action. C’est ainsi que, pour éviter de tomber dans des complications possibles, la diplomatie a laissé choir l’Europe dans la guerre.


II.

La Turquie ne pouvait toujours répondre à l’Europe par une fin de non-recevoir, elle ne pouvait au printemps repousser impunément le protocole de Londres, comme elle avait l’hiver rejeté les demandes de la conférence de Constantinople, et l’été dernier le mémorandum de Berlin. Après plus d’une année de stériles négociations soulevées par une insurrection aussi vivace qu’aux premiers jours, après des préparatifs militaires de six mois et avec deux armées sur la double frontière turque, la Russie, impatiente de tant de délais, ne pouvait voir venir la belle saison sans prendre un parti. L’armistice, une première fois arraché à la Porte par un ultimatum russe, deux fois renouvelé sous la pression de l’Europe, ne pouvait être successivement et indéfiniment prolongé. Pour échapper à la guerre, la Turquie devait faire la paix avec le Monténégro avant l’échéance de la trêve. On ne saurait trouver les prétentions du Monténégro excessives : en vérité, lui aussi, vu sa position et ses succès, s’était montré modéré. Le Cernagore réclamait deux choses de tout temps reconnues indispensables à son indépendance : un peu de terre en plaine au pied de ses rochers pour faire vivre ses habitans en dehors du pillage et des razzias, un port de mer sur la côte qu’il domine pour n’être plus tributaire des douanes turques ou autrichiennes et ne plus relever des deux empires voisins dans ses communications avec le monde. La Porte, appuyée par l’Autriche, a refusé le petit port de Spizza, dont elle ne fait rien, et le Monténégro a renoncé à cette mer dont il entend les flots battre le pied de ses montagnes. Au lieu d’un port, la Turquie lui offrait la libre navigation d’une rivière d’ordinaire non navigable, la Boïana : le Monténégro s’en est contenté. Le prince Nikita a réduit ses demandes à une rectification de frontière, comprenant Nicksich, petite