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souvent, l’on a comparé les états à un navire ; c’est un lieu-commun, qu’importe ! on peut accepter cette vieille comparaison et dire que, si on laisse aux matelots toute liberté, toute licence pour la manœuvre, le vaisseau ne tarde pas à sombrer avec les passagers et l’équipage. Les députés de Paris, — tous nés en province à l’exception de MM. Picard et Rochefort, — qui recherchèrent la redoutable responsabilité de sauver la France après la journée du 4 septembre, furent sans contredit des gens honnêtes, mais ils ne surent faire ni la paix, ni la guerre ; ils ne surent ni utiliser les forces qu’ils avaient en mains, ni mettre obstacle aux insurrections que chacun prévoyait. Ils n’ignoraient pas cependant la nature du double danger qui menaçait Paris et eux-mêmes. D’une part, ils avaient à combattre les hommes dont l’empire avait souvent déjoué les projets révolutionnaires ; de l’autre, il fallait discipliner et employer aux œuvres patriotiques toute une population en armes qui eût été d’un utile secours contre l’ennemi, si l’on s’était sérieusement occupé de l’arracher à l’influence des meneurs ambitieux et bavards dont elle recevait le mot d’ordre. Or, ce mot d’ordre, le gouvernement de la défense nationale le connaissait, il était emprunté aux plus mauvais souvenirs de notre histoire. Au 31 mai 1793, à ce moment douloureux où la gironde et la montagne se saisissent corps à corps, Barrère demande qu’une partie de la garde nationale de Paris soit envoyée aux frontières menacées. Robespierre n’y consent pas : « Les patriotes parisiens ont mieux à faire, ils ont à défendre la citadelle de la révolution et les citoyens intègres et purs qui conduisent le char révolutionnaire. » L’écho des clubs, des corps de garde, des cabarets, a répété souvent cette parole dangereuse pendant la durée du siège ; on n’y a été que trop fidèle. On avait envoyé cent bataillons à l’affaire de Buzenval, une vingtaine prirent part à l’action, les autres surent y échapper en se dissimulant ; quelques-uns de ceux-ci se battirent, au temps de la commune, contre les troupes françaises avec une énergie redoutable.

Dès le mois de septembre, le gouvernement ne dut conserver aucun doute à l’égard de certains bataillons, les plus nombreux malheureusement, de cette garde nationale qui n’avait point assez d’injurieuses railleries contre nos soldats prisonniers. Le 19, un bataillon de mobiles de Paris destitue ses chefs, après avoir refusé de leur obéir, évacue le Mont-Valérien, qu’il était chargé de garder, et revient à la débandade au moment où les têtes de colonnes allemandes apparaissent à Rueil. Pour obvier à de tels inconvéniens, exiger de chacun le service que le pays était en droit d’imposer, pour former ces récalcitrans à la discipline, pour faire des soldats