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inquiets de l’état de Paris, avait fait éclater une fois de plus le dissentiment grave qui divisait le ministère en deux fractions. « M. Dupont de l’Eure et ses amis, a écrit M. Guizot, portaient impatiemment le poids de notre impopularité, nous celui de leur mollesse. » Les autoritaires du cabinet ayant démontré la nécessité de réprimer vigoureusement l’émeute, les partisans de la politique de u laisser aller » avaient au contraire réclamé une concession qui apaisât les colères de la rue et dispensât de recourir aux armes. Or la concession ne pouvait porter que sur l’adresse de la chambre des députés contre la peine de mort, première cause de l’émeute, que M. Odilon Barrot, préfet de la Seine, considérait déjà comme « une démarche inopportune, qui avait pu faire supposer qu’il y avait concert pour interrompre le cours ordinaire de la justice. » Du débat qui s’engagea entre les ministres sortirent deux décisions. Aux termes de la première, le général Pajol, commandant la division militaire, reçut l’ordre de prendre toutes les mesures pour mettre en sûreté le château de Vincennes, et de dissiper, à l’aide de la garde nationale, tous les rassemblemens; à la suite de la seconde, le Moniteur publia une note qui réduisait à une parole vague l’engagement formel pris par les chambres et par le roi. Dans cette note, qu’il est impossible de ne pas considérer comme un acte de faiblesse, il était dit : « Le gouvernement, qui pense que l’abolition universelle et immédiate de la peine de mort n’est pas possible, pense aussi, après un examen attentif, que, pour la restreindre dans notre code aux seuls cas où sa nécessité la rend légitime, il faut du temps et un long travail. »

C’était avouer qu’on n’introduirait aucun changement dans les lois pénales avant le procès des ministres. À cette minute et dans cette concession, c’est la politique de M. de Lafayette et de M. Odilon Barrot qui l’emportait, politique plus naïve qu’habile et qui a permis à un contemporain de porter sur le second de ces personnages ce jugement si profond et si vrai, qui peut s’appliquer à l’un et à l’autre : « Lorsque M. Odilon Barrot parlait aux masses populaires, une disposition singulière de son esprit semblait le condamner à flatter les passions qu’il voulait combattre, et à leur donner sous forme de leçons des encouragemens à ne pas abdiquer[1]. » En triomphant, cette politique déjouait les généreuses intentions du roi et de ses conseillers, trompait l’espérance de tous les hommes modérés et laissait planer la peine de mort sur la tête des anciens ministres de Charles X.


ERNEST DAUDET.

  1. Mémoires inédits.