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et, comme on dirait en langage de peintre, brisé la ligne par trop longue de leurs discours.

On a assez chicané M. Déroulède sur l’insuffisance de ses rimes et les défectuosités de sa versification pour que nous venions le chagriner encore à cet égard. Ce n’est pas nous qui lui conseillerons jamais de sacrifier la raison à la rime et la pensée aux mots, et c’est d’ailleurs un défaut dont il se corrigera facilement maintenant qu’on le lui a signalé. Nous préférons lui donner ce que nous croyons un bon conseil. Qu’il travaille avant tout à se faire un style doué de souplesse, et pour cela qu’il se défie d’une certaine tendance à accumuler les antithèses à prétention noble, mais singulièrement banales en dépit de leur prétention. Ce ne sont qu’oppositions entre ce qui est noble et ce qui est vil, ce qui est haut et ce qui est bas, ce qui tombe et ce qui se relève, son style en est comme tout roide et empesé. Ce sont là, il est vrai, défauts de l’âge heureux où l’auteur est encore pour longtemps, et ils passeront sans doute le jour où il se sera convaincu qu’il n’y a rien d’intolérable comme la pompe des mots quand elle n’arrive pas à produire la grandeur, et rien de plus accablant, et je dirais presque de plus décourageant, que les beaux sentimens quand ils n’arrivent pas à produire la chaleur. — Je veux conclure par un mot qui me fut dit par une aimable spectatrice au lendemain de la première représentation : « Nous étions tous amis à l’auteur, et nous avons été malheureux de ne pas pouvoir applaudir plus fort. » Nous ferons de ce mot notre propre excuse pour les critiques que nous avons été obligé d’adresser à M. Déroulède ; nous aussi, nous sommes malheureux de n’avoir pu applaudir plus fort, mais nous attendons le poète à sa récidive, et ce jour-là, en dépit du léger désappointement créé par l’Hetman, il retrouvera intacte cette sympathie générale qui était venue saluer ses débuts au théâtre.


ÉMILE MONTÉGUT.



ESSAIS ET NOTICES.

Rapport sur la Mission des chotts. Eludes relatives au projet de mer intérieure, par le capitaine Roudaire. Paris, 1877 ; Imprimerie nationale.


Chargé en 1872 et en 1873, par le ministre de la guerre, d’opérations géodésiques en Algérie, M. le capitaine Roudaire avait conçu la pensée hardie qu’il serait possible d’introduire les eaux de la Méditerranée dans la vaste dépression, connue sous le nom de région des chotts, qui s’étend au sud de la chaîne de l’Aurès, entre Biskra et le golfe de Gabès, sur une longueur de 375 kilomètres. L’auteur de ce magnifique projet, qui ne va à rien moins qu’à faire pénétrer la fertilité et la vie jusqu’au cœur du Sahara algérien, en transformant en mer intérieure