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des milliers de Slaves entrèrent dans la communion du pape, et un moment, vers 1865, on put croire qu’un peuple entier allait, par rancune contre les Grecs, se ranger en masse au nombre des sujets spirituels du souverain pontife. Une telle conversion, qui eût tranché d’un coup le lien religieux qui rattache les Bulgares aux Russes, eût eu des résultats encore plus importans peut-être pour la politique que pour la religion; mais l’espoir de la cour romaine et de notre ambassade de Thérapia fut déçu. Le mouvement catholique avorta, beaucoup des prosélytes de Rome sont revenus à l’orthodoxie orientale, et les Bulgares qui ont persisté dans l’union sont demeurés en nombre insignifiant.

Sous l’influence de la Russie ou sous l’exemple de la Serbie et de la Roumanie, les Bulgares s’aperçurent qu’ils pourraient se soustraire à la domination du clergé phanariote sans sortir de l’orthodoxie grecque. Ils réclamèrent une église indépendante, autonome ou autocéphale, comme disent les théologiens orientaux. Après beaucoup de luttes et de négociations, sous l’action habilement dissimulée de la diplomatie russe, la Porte décréta par un firman la séparation ecclésiastique des Bulgares et des Grecs. C’était le temps de la grande insurrection de Crète, et le divan, mécontent des Grecs et voyant dans les Bulgares les plus tranquilles et les plus dévoués des raïas, ne regrettait point de donner satisfaction aux uns aux dépens des autres. Le patriarche œcuménique Grégoire VI, obéissant à la Porte et au désir d’éviter un schisme, accorda aux Bulgares l’institution d’un exarchat virtuellement indépendant du siège patriarcal, auquel il allait enlever une moitié de ses ouailles. Les Bulgares, naguère dépourvus de tout lien national, ont par ce fait été officiellement reconnus de la Porte et ont reçu d’elle un rudiment d’autonomie sous la forme jusqu’ici en usage dans l’empire ottoman, la forme religieuse; affranchis du joug ecclésiastique des Grecs, en possession d’un chef spirituel national et d’un clergé tout indigène, ils ont été légalement érigés en communauté, en nation particulière de l’empire, au même titre que les Grecs ou les Arméniens. Ainsi que je l’écrivais il y a quelques semaines ici même[1], la grande difficulté, le grand débat a porté sur les limites de la nouvelle église et de l’église mère, de l’exarchat bulgare et du patriarcat byzantin. Ce qui était en question dans cette affaire de juridiction ecclésiastique, c’était en effet moins les droits du siège patriarcal œcuménique et la liturgie slavonne, que les prétentions rivales des Slaves et des Hellènes sur la Macédoine, sur la Thrace,

  1. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1876, notre étude sur les Réformes de la Turquie, la politique russe et le panslavisme.