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la menace et le défi. Les sourds bourdonnemens du tocsin lui arrivaient de tous les clochers d’alentour, et la sonnerie semblait lui crier distinctement : Incendiaire ! incendiaire ! Puis, peu à peu, les sinistres tintemens l’assoupirent ; elle perdit connaissance, et un voile bienfaisant s’épandit sur cette âme aux abois. »

Après avoir pendant quelque temps erré de village en village, son fidèle vautour à l’épaule, Wally, éconduite de tous les chalets, exténuée de froid et de faim, prit le parti de se réfugier à Rofen, chez les frères Klotz, les guides les plus renommés du pays. Ce mystérieux hameau de Rofen, blotti sous les pieds du terrible glacier mouvant du Vernagt, est le plus haut endroit habité qui soit dans tout le Tyrol ; de nos jours encore, il jouit d’une sorte de droit d’asile. Au milieu d’une affreuse tourmente de neige, la jeune fille parvint à gravir ces pentes presque inaccessibles en hiver ; mais sur le seuil même des Klotz, avant que sa main eût pu saisir le marteau de fer, ses forces défaillirent, et elle tomba évanouie. Ici interviennent une série de scènes intimes qui, pour la justesse de l’observation et le naturel des peintures, sont assurément les meilleures du livre. Les flocons de neige en tourbillonnant dans l’étroit défilé ont recouvert d’un épais linceul le corps inanimé de Wally ; à l’intérieur du logis, deux des Klotz, — le troisième est absent, — continuent, comme si rien d’inusité ne s’était passé au dehors, à fumer tranquillement leurs pipes près du poêle. Tout à coup un battement d’ailes contre la croisée attire l’attention de Léandre, le cadet ; la porte est ouverte, et l’on aperçoit sur le seuil le blanc monticule. Vite on déblaie la place, et alors apparaît l’étrange épave. Chez le jeune Léandre la surprise et la commisération se doublent dès le premier regard d’un sentiment d’une nature plus tendre : Wally est si belle dans sa détresse ! Mais Nicodème, le frère aîné, qui est homme de circonspection, se charge de soigner lui-même l’inconnue. Léandre, évincé de la pièce où celle-ci, un peu ranimée, divague en proie à la fièvre, s’en va rôder aux alentours avec son fusil. Le premier objet que découvre son œil de chasseur, c’est le gypaète, tranquillement perché sur le toit. N’osant tirer un coup de feu si près de la malade, il essaie de chasser l’oiseau, afin de le tuer au loin : celui-ci refuse obstinément de déguerpir. Le lendemain arrive Benoît, le second frère ; il a fait un tour au canton et rapporte des nouvelles d’en bas. Il dit comme quoi la fille du fermier de la Sonneplatte a mis le feu à la grange de son père et s’est enfuie dans la montagne avec son vautour. Nicodème, à ce mot, regarde Léandre, qui devient cramoisi ; tous deux ont saisi le joint des choses. Benoît, de son côté, en apprenant quelle personne on a recueillie au logis, déclare qu’il faut chasser à l’instant cette vagabonde, et qu’il n’y a point d’asile à Rofen pour les incendiaires.