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Le chloroforme est un liquide incolore, volatil, aromatique, plus dense que l’eau et ne se mélangeant pas avec elle. Il a été découvert par Soubeiran en 1831, et le procédé au moyen duquel Soubeiran l’a obtenu est encore employé aujourd’hui. Il suffit de distiller de l’alcool avec de l’hypochlorite de chaux et de la chaux. Les propriétés hypnotiques du chloroforme ont été découvertes en 1847 par Flourens, quelques mois seulement après que Jackson eut reconnu à l’éther des propriétés analogues; mais le premier chirurgien qui l’ait employé dans une opération sur l’homme est Simpson, d’Edimbourg, en novembre 1847. Depuis cette époque, la pratique s’en est généralisée à tel point qu’aujourd’hui on ne fait plus d’opération grave sans chloroforme : aussi est-on en droit de regarder la découverte de l’anesthésie chirurgicale comme une des plus précieuses de ce siècle, déjà si fécond en bienfaits.

L’action principale du chloroforme, c’est la paralysie de la sensibilité, ou l’anesthésie. C’est à ce titre qu’il agit sur l’intelligence, car la sensibilité n’est qu’une des formes de l’intelligence; mais ce point, étant encore assez obscur, mérite d’être éclairci.

Deux grandes fonctions sont dévolues au système nerveux, la sensibilité et le mouvement : c’est par la sensibilité que nous recevons les impressions qui viennent du dehors, c’est par l’excitation des muscles, ou le mouvement, que nous manifestons notre volonté et que nous agissons sur les objets extérieurs. Quand il n’y a ni maladie, ni empoisonnement, la volonté, c’est-à-dire l’intelligence, excite, par l’intermédiaire de la moelle épinière, les différens muscles et produit un mouvement; mais cette condition n’est pas absolument nécessaire, puisque sur les animaux décapités, par exemple, le système nerveux de la moelle épinière peut encore exciter des mouvemens dans les muscles. Il y a motilité, il n’y a plus sensibilité. Il n’y a sensibilité que quand l’intelligence est intacte et capable de percevoir, en sorte qu’un être sans intelligence ne peut pas être sensible. Les observations pathologiques viennent à l’appui de ce fait : toutes les fois que l’intelligence est atteinte, il y a en même temps des troubles de la sensibilité, et réciproquement. Aussi, lorsque l’on voit un malade présentant des troubles notables de la sensibilité, si les nerfs sont intacts, on peut être sûr que le système nerveux central est lésé, et lésé de telle sorte que l’intelligence n’est pas restée indemne.

L’anatomie et la physiologie comparées sont d’accord avec la pathologie. Il y a des animaux sentant peu ou mal, ce sont les animaux inférieurs : leur intelligence est obscure, et leur sensibilité aussi obtuse que leur intelligence. Au contraire, à mesure que l’on considère des animaux plus intelligens, on voit la sensibilité devenir de plus en plus délicate, en sorte que l’homme, le plus intelligent