Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/825

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

action sur l’intelligence ; que si plus tard les autres fonctions sont troublées, cela ne change en rien la propriété qu’il a eue d’altérer dès le commencement les facultés intellectuelles. Ce n’est donc pas une action exclusive, c’est seulement une action prédominante, car pour les faits physiologiques il n’y a pas de classification absolue, et toute démarcation rigoureuse est nécessairement arbitraire et entachée d’erreur. Ainsi, pour rester dans l’exemple déjà cité, à la période dernière de l’empoisonnement par l’oxyde de carbone, il y a de l’agitation intellectuelle, du délire et d’autres symptômes de la perversion de l’intelligence ; mais ces troubles ne surviennent que consécutivement, ils sont la suite de l’empoisonnement complet du sang. Le cerveau privé de sang vivant est troublé dans sa fonction, et de même qu’on observe du délire dans l’anémie cérébrale à la suite des grandes hémorrhagies, de même à la suite de l’empoisonnement par l’oxyde de carbone on observe des troubles intellectuels produits par l’absence d’un sang vivant et oxygéné. Aussi l’oxyde de carbone n’est-il pas un poison de l’intelligence, c’est un poison du sang qui n’agit sur le cerveau que parce qu’il a tout d’abord agi sur le sang. Il en est autrement de certains corps qui troublent primitivement les fonctions du cerveau, l’alcool et le chloroforme par exemple. Avant qu’il existe ailleurs des troubles fonctionnels quelconques, l’intelligence est atteinte, — l’intelligence ou la sensibilité, ce qui est tout un. Il n’y a rien du côté des muscles, ou du sang, ou du cœur, ou des poumons, mais il y a une action du poison sur les facultés intellectuelles, action qui se traduit par l’ivresse et le délire. Il est vrai que plus tard, si l’intoxication est poussée plus loin, le cœur, l’estomac, les muscles finissent par se ressentir de la perversion des centres nerveux, mais ces troubles ne sont que secondaires, et l’alcool, comme le chloroforme comme l’éther, le hachich, l’opium et le café sont de véritables poisons intellectuels.

Nous ne devons pas d’ailleurs nous étonner de voir que les poisons qui altèrent d’abord l’intelligence finissent par porter leur action sur d’autres fonctions. En effet, le système nerveux central, qui est l’organe atteint par le poison, préside à presque toutes les grandes fonctions vitales, et, de même qu’il est l’organe de l’intelligence, il est l’organe qui excite les mouvemens musculaires et qui régit les fonctions du cœur, du tube digestif et des glandes sécrétoires éparses dans l’organisme. Aussi, parmi les poisons du système nerveux central, en est-il qui agissent sur telle ou telle fonction plutôt que sur telle autre, et cependant, à la dernière période de leur action, toutes ces fonctions finissent par être profondément troublées. Ainsi le chloroforme, qui agit tout d’abord en supprimant la volonté, la mémoire et le sentiment, c’est-à-dire en