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nement impérial fait tort aux nobles et généreuses déclarations de sa diplomatie. Pour les états comme pour les individus, il n’y a rien de tel que de prêcher d’exemple, et il n’y a pas de plus insigne maladresse que de condamner chez soi ce que l’on exalte chez les autres. Le gouvernement russe a droit à toutes les sympathies quand il soutient près de la Porte les droits des raïas à la liberté de leur religion, de leur langue, de leurs mœurs; il serait bien plus sûr d’obtenir le concours de tous s’il accordait lui-même aux Slaves de la Vistule ce qu’il demande au sultan pour les Slaves du Balkan. Le plaidoyer le plus éloquent de la presse de Moscou, les notes les plus insinuantes de la chancellerie russe, ne peuvent valoir pour les Bulgares la plus petite concession faite aux Polonais. Or, par une sorte d’ironie, c’est au moment où les sujets slaves du sultan espèrent, grâce au tsar, obtenir les premiers rudimens d’une administration autonome, que sont effacés dans le royaume de Pologne les derniers vestiges d’une autonomie sanctionnée par des traités solennels. L’agitation des slavophiles de la Russie a été accompagnée aux bords de la Vistule d’un redoublement de sévérité, alors que depuis quelques années on osait se flatter de voir les rigueurs de la domination russe se tempérer. Des prêtres catholiques ont de nouveau été arrêtés, des écoles fermées; les derniers uniates qui refusent de se laisser ramener à l’orthodoxie orientale sont exposés aux persécutions d’une police tracassière. Il nous en coûte de mentionner ces faits, trop souvent et trop bruyamment dénoncés dans la presse européenne pour avoir besoin d’être signalés. Si nous le faisons, c’est dans l’intérêt de la Russie et de ses protégés slaves des Balkans, car, vis-à-vis des peuples comme vis-à-vis des individus, la meilleure marque d’estime ou d’affection est de leur dire la vérité.

S’il ne s’était agi que de la Pologne, nous n’en eussions probablement rien dit en ce moment, ne pouvant rien apprendre au lecteur sur cette vieille et déplorable histoire. Par malheur, les Polonais ne sont pas les seuls Slaves de la Russie pour lesquels la campagne de Saint-Pétersbourg en faveur des Slaves du Balkan coïncide avec un redoublement de défiance de la part de la police et de l’administration impériales. Les Petits-Russiens de l’Ukraine sont ainsi depuis quelques mois l’objet des soupçons et jusqu’à un certain point l’objet des sévérités du gouvernement, qui s’est donné pour mission l’affranchissement des Slaves. Ces Petits-Russiens ou Malo-Russes, aujourd’hui pour la plupart orthodoxes de religion et tous Russes de cœur comme de nom, ne peuvent être exposés aux mêmes vexations que leurs voisins polonais, auxquels les Russes ne sauraient encore pardonner leurs nombreuses insurrections. Les Petits-Russiens, je l’ai montré ici, ont tous les droits au nom de Russe<ref> Voyez, dans la Revue du 15 septembre 1873, notre étude sur les races et la nationalité russes. Je rappellerai ici qu’au point de vue de la langue, les termes d’Ukranien, de Malo-Russe ou Petit-Russien, de Roussiniaque et Ruthène, peuvent être regardés comme synonymes, les premiers s’appliquant plus spécialement aux Petits-Russes de Russie, les derniers à ceux de la Gallicie et de la Hongrie. <//ref>. Les Polonais, qui les ont longtemps maintenus