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intérieure et extérieure, il faut un budget en équilibre et une balance du commerce normale. Or, quand cette dernière condition serait remplie, la première ne le serait pas, loin de là : pour remplir l’une, l’on rend l’autre plus difficile, et des deux c’est la plus manifestement indispensable qui se trouve sacrifiée. Il n’est nullement certain qu’un état ne puisse abroger le papier-monnaie sans avoir en sa faveur la balance du commerce; il est avéré qu’il ne le saurait faire sans avoir de bonnes finances. Peu importe que les ventes de la Russie à l’étranger viennent à égaler, à dépasser même ses achats, si les mesures prises pour y arriver diminuent les recettes du trésor et mettent le budget en déficit; au point de vue financier, la première chose est partout d’avoir des finances en équilibre. Or, au moment où elle s’expose à diminuer les recettes de ses douanes, la Russie a plus que jamais besoin d’argent.

Quand elle saurait s’arrêter sur le seuil de la guerre, la Russie aura du fait de ses derniers armemens de nouvelles charges à supporter. Tout le monde le sent déjà à Pétersbourg, et les projets d’impôts nouveaux sont actuellement à l’ordre du jour. S’il y a déficit dans les douanes, qui viendra combler ce vide? Le peuple, le moujik, qui plie déjà sous le faix, en est incapable; il faudra s’adresser à la grande propriété, et aussi à l’industrie, au commerce. Les marchands des guildes de Pétersbourg en ont le pressentiment; ils ont, au mois de novembre dernier, offert au gouvernement une contribution volontaire égale aux droits actuels de patentes. Le gouvernement a répondu que, lorsqu’il le jugera nécessaire, il fera appel au concours des marchands et de toutes les classes de la nation. Il est à craindre que ce moment ne vienne, et que la production agricole et industrielle ne doive subir des aggravations de taxe. S’il y avait une guerre de quelque durée, les nouveaux impôts devraient être lourds, et alors se trouveraient renversés tous les calculs sur le développement de la production et de l’exportation au moyen de l’élévation des droits de douane. On voit que l’on tourne dans une sorte de cercle vicieux. Avant même d’être frappées de nouvelles taxes, production et exportation subissent déjà le contre-coup des inquiétudes publiques et les effets avant-coureurs de la guerre. Sur la Mer-Noire, les transports maritimes ont été interrompus avant la saison d’hiver, de peur de trouver la porte du Bosphore fermée. Les marchandises du sud de la Russie ont dû prendre la voie plus longue et plus coûteuse de la Baltique, et Kœnigsberg a profité du marasme d’Odessa. Les chemins de fer ont été encombrés et, pour surcroît de difficultés, les transports militaires sont venus confisquer à leur profit, pendant plusieurs jours, les principales voies ferrées. En même temps, les marchandises d’importation,