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porcelaines, de laques, de meubles, d’ivoires, d’étoffes, de curiosités chinoises ! Ce sont d’ailleurs les industries les mieux installées. On sent moins dans ces magasins l’odeur de renfermé qui me poursuit depuis mon arrivée à Canton. Mais ce n’est que par une sorte de faveur que l’on y entre ; je dois cet honneur à mon cicérone. L’étranger qui n’est pas introduit ne pénètre guère et achète encore moins dans ces tabernacles interdits aux profanes. C’est à peine si on daigne tourner la tête vers lui quand il demande le prix et lui jeter un chiffre du bout des lèvres. Quant à son offre, on n’y répond même pas. L’initié lui-même ne réussit jamais du premier coup à conclure un marché définitif ; il faudra bien des fois revenir, reprendre les pourparlers avant que le marchand ne lâche à un prix raisonnable l’objet convoité. Grave, compassé, le commerçant traite les affaires avec la solennité d’un pontife : il se ménage une réputation d’intégrité ; on s’accorde d’ailleurs à reconnaître la sûreté et la solidité des relations commerciales avec les Chinois. Ils apportent dans l’exécution des contrats une exactitude qui n’exclut pas une certaine duplicité dans l’interprétation, une certaine habileté à confondre un contractant maladroit. Ce n’est là qu’une adresse permise à leurs yeux et capable de faire honneur à celui qui sait la déployer. Le mensonge ne porte atteinte qu’à la considération de celui qui s’y laisse prendre.

Après les objets d’art, ce qui attire le plus les regards ce sont les restaurans aux vitraux bariolés, où les gourmets viennent déguster toute sorte de mets dont nos yeux inexpérimentés ont peine à déterminer la nature, et parmi lesquels on me montre cette espèce de pâte de vermicelle fameuse sous le nom de nid d’hirondelles. Rien de plus compliqué, rien de moins appétissant que la cuisine chinoise ; plus de la moitié des échoppes de Canton sont occupées par des marchands de victuailles, sans compter les petits débitans ambulans, qui offrent aux passans leurs gâteaux, leurs fruits, leurs légumes. On voit de toutes parts pendre des chiens écorchés, des cochons à demi consommés ; des poissons, des coquillages, des crustacés vivans, des œufs savamment amenés au degré de pourriture convenable par un long séjour dans le four, remplissent les étaux et débordent jusque sous les pieds des passans. Le canard joue un grand rôle dans l’alimentation ; on tombe quelquefois au milieu d’un troupeau de 200 ou 300 de ces palmipèdes, qui obstrue complètement la rue ; un gardien les conduit à la rivière, où il les embarque sur des radeaux ad hoc pour aller de l’autre côté paître dans l’île d’Honan. Malgré cette apparente abondance, la misère est grande dans cette foule qui semble constamment occupée à se disputer la subsistance. L’unité monétaire est le sapèque, petite pièce de cuivre ronde, percée d’un trou carré, qui vaut