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bizarrement mélangées. Du reste, aucune délicatesse : l’Allemand qui mange des petits pois avec son couteau ne se doute pas que la bonne éducation défende de parler haut. Les voix sont puissantes en Allemagne, et jamais elles ne se modèrent dans la conversation. C’est à qui fera le plus de bruit ; l’interlocuteur qui vous jette cent fois en une heure votre titre. au visage n’attendra pas pour se remettre à crier que vous ayez achevé votre phrase ; montez dans un wagon de chemin de fer, entrez dans un café ou dans tout autre lieu qui renferme deux ou trois Teutons réunis, vous serez assourdis littéralement. Il est curieux que le peuple du monde le mieux doué pour la musique soit aussi insensible dans l’ordinaire de la vie aux sons les plus discordans. Tandis que nous sommes en chemin de fer, écoutez les exclamations des dames, des jeunes filles surtout, devant le paysage. L’abus vicieux des adverbes et des adjectifs ne tarit pas. D’abord vous excusez ce tapage monotone en l’attribuant à l’enthousiasme, mais bientôt vous vous rendez compte que ces bruyantes extases ne sont rien moins que naïves. Quiconque s’en dispenserait risquerait fort d’être sévèrement jugé : manquer de Geist, de Gemüth, de sensibilité, d’âme, est un crime irrémissible, et pour l’esquiver on se jette dans l’affectation du sentiment.

Nous voyageons toujours ; remarquez, si vous osez les regarder en face sans trop rougir, l’attitude de ces deux fiancés au milieu de la foule du wagon ou du bateau à vapeur. Ils restent amoureusement enlacés sous l’œil de leurs parens. Aucune timidité de la part de la jeune fille, ni trouble, ni empressement de la part du jeune homme. Non, ils se sont plantés là carrément, côte à côte, en pleine félicité solide et hardie, savourant les baisers et les Butterbrödter (pains beurrés) avec le même calme. On vous dira que dans les rangs élevés de la société il n’en « si pas ainsi, mais partout sur votre passage vous rencontrerez ce même tableau qui a inspiré toutes les enluminures accrochées aux murs d’auberges : Familienglück (les joies de la famille), et qui vous fera désirer, quant à vous, d’être à cent lieues. Ce qui vous étonnera aussi, et cela dans les salons les plus exquis, dans ceux où l’esthétique est à l’ordre du jour, c’est l’emploi par une bouche illustre ou gracieuse d’expressions d’une grossièreté inqualifiable. Si la chose dont il est question est grossière en elle-même, pourquoi en farder le nom ? Cette étrange sincérité est poussée parfois à un degré embarrassant pour l’auditeur étranger, qui s’attend à voir tout le monde éclater de rire ou marquer du dégoût, tandis qu’au contraire personne ne paraît choqué.

Depuis quelques années, on s’efforce en haut lieu et on a grandement raison, d’obtenir que la langue allemande, si riche par elle-même, soit débarrassée des emprunts ridicules qu’elle a faits