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étrange que le prince ait eu cette occasion de rassembler des charbons ardens sur la tête de Peel, qui lui a fait tort de 20,000 livres, et qui volontiers aussi lui aurait enlevé son droit de préséance. La cour a beaucoup gagné au point de vue des bienséances depuis l’arrivée des nouveaux ministres. »


« 2 décembre 1841.

« L’homme qui a été souvent trompé devient défiant comme de raison. Je me borne donc à dire que le commencement de mes rapports avec Peel et Aberdeen me paraît très satisfaisant. Jusqu’à présent, je ne rencontre chez eux que franchise, bonne volonté, communauté de vues, avec la promesse de s’acquitter scrupuleusement des devoirs qui leur incombent. »


En parlant, d’après l’évangile, de ces charbons de feu rassemblés sur la tête de sir Robert par la magnanimité de son altesse royale, Stockmar allait bien au-delà des sentimens du prince, on peut même dire qu’il les défigurait. Le prince, dans son pardon, ou plutôt, ce qui est bien plus rare, dans son oubli complet des procédés hostiles, n’en confiait pas la vengeance à une puissance supérieure ; il était devenu l’ami de sir Robert Peel sans nulle arrière-pensée, ne voyant en lui qu’un serviteur dévoué de la chose publique.

Tous ces détails, entièrement inconnus avant la publication des confidences de Stockmar, nous aident à recomposer l’histoire intime annoncée au début de cette étude. Il s’agissait de montrer comment le prince Albert, un peu humilié d’abord de n’être pas autre chose que le mari de la reine, a réussi à devenir le chef de la famille, le maître de la maison. On a vu que le vœu du prince était plus ardemment encore le vœu de la reine elle-même. C’était pour elle une question de devoir et de dignité, puisque c’était l’exigence impérieuse de son amour. N’avait-elle pas promis devant Dieu, comme elle le rappelait si volontiers, soumission et obéissance à son époux ? La grande difficulté était de concilier tout cela avec les inflexibles principes de la constitution anglaise. Il fallait que, sans participer officiellement à aucune des prérogatives de la couronne, le prince n’en fût pas absolument séparé. Le bill de régence prépara cette situation intermédiaire. Même aux yeux des plus sévères gardiens de la loi, le prince était plus que le simple mari, de la reine, puisqu’il pouvait être un jour le régent du royaume. Ce n’était là, il est vrai, qu’un régent possible, un régent en puissance, comme disent les philosophes, et le pays espérait bien que jamais cette puissance ne deviendrait un acte ; qu’importe ! Le droit existait, et qu’il dût ou non être réalisé par la suite, il suffisait à élever la situation du prince. C’était trop peu encore pour la reine Victoria. Heureuse, si elle devait quitter ce monde avant son mari,