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Dès la première approche du monde, le choc se produit, et l’abbé Roche est brisé comme verre. Il n’est pas une de ses vertus qui ne se retourne contre lui ; sa franchise sans paille, obligée de se défendre contre la dissimulation artificieuse, dégénère en brutalité de paroles, sa complète innocence le livre au péril des tentations de la chair, son honnêteté le rend la dupe de la fraude, sa charité en fait le complice involontaire du désordre et de l’adultère. En quelques jours, il arrive à dépouiller son église de ses trésors d’art au bénéfice d’un brocanteur mondain, à convoiter la femme de son prochain à la grande terreur de sa conscience, à créer fortuitement au désespoir de sa véracité la réclame sacrée qu’un spéculateur sans scrupules avait en vain sollicitée, à revêtir enfin les apparences d’un séducteur de sacristie et d’un prêtre indigne, tout cela en toute naïveté et sans l’ombre d’une faute. C’est ici, nous semble-t-il, que le prêtre à l’expérience plus mondaine raillé par M. Droz pourrait facilement prendre sa revanche, et répondre à l’auteur qu’en créant ce type de l’abbé Roche il a précisément prouvé le contraire de ce qu’il voulait démontrer. Une des manies de nos voltairiens des derniers jours, c’est de réclamer imperturbablement pour le prêtre la perfection évangélique primitive ; Gustave Droz, voltairien lui-même, s’est chargé de prouver, sans y songer le moins du monde, que le type de prêtre qui convenait à notre état social était précisément à l’inverse de cette perfection. Ce n’en est pas moins une sympathique et imposante figure que cet enfant trouvé qui n’a jamais connu d’autres maisons que celles de Dieu avec sa noblesse native et sa charité robuste comme son corps, et l’on ne peut se défendre contre l’envahissement d’une tristesse glaciale lorsqu’on voit ce pieux géant, complétant par l’héroïsme sa vie sans tache, aller se faire martyriser chez les Chinois au bénéfice des intérêts et de l’honneur d’un spéculateur heureux, d’une minaudière élégante et d’un vicieux titré dont il est, pour comble d’horreur, le propre frère, et trois fois l’aîné, par l’âge, par la hauteur d’âme et la plus grande pureté du sang.

En dépit de quelques légers défauts, Autour d’une source reste l’œuvre maîtresse de M. Droz, car c’est la seule où il ait pleinement réussi à créer un personnage capable d’intéresser et d’émouvoir, encore faut-il faire cette réserve que l’histoire de l’abbé Roche donne froid au lecteur plutôt qu’elle ne le touche réellement. En effet, la sensibilité de Gustave Droz ne vaut pas son ironie et sa gaîté, sans doute parce qu’il s’en défie et qu’à l’imitation de trop nombreux artistes parisiens, il la réprime de crainte d’en être la dupe, et cependant il connaît le précepte du poète latin, si vis me flere… Il ne possède pas le don des larmes, voyez plutôt Babolain. A coup sûr, s’il est une histoire lamentable, c’est bien celle