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C’est principalement sur l’Acropole que ces sentimens m’assiégeaient. Un excellent architecte avec qui j’avais voyagé avait coutume de me dire que, pour lui, la vérité des dieux était en proportion de la beauté solide des temples qu’on leur a élevés. Jugée sur ce pied-là, Athéné serait au-dessous de toute rivalité. Ce qu’il y a de surprenant, en effet, c’est que le beau n’est ici que l’honnêteté absolue, la raison, le respect même envers la divinité. Les parties cachées de l’édifice sont aussi soignées que celles qui sont vues. Aucun de ces trompe-l’œil qui, dans nos églises en particulier, sont comme une tentative perpétuelle pour induire la divinité en erreur sur la valeur de la chose offerte. Ce sérieux, cette droiture, me faisaient rougir d’avoir plus d’une fois sacrifié à un idéal moins pur. Les heures que je passais sur la colline sacrée étaient des heures de prière. Toute ma vie repassait, comme une confession générale, devant mes yeux. Mais ce qu’il y avait de plus singulier, c’est qu’en confessant mes péchés, j’en venais à les aimer ; mes résolutions de devenir classique finissaient par me précipiter plus que jamais au pôle opposé. Un vieux papier que je retrouve parmi mes notes de voyage contient ceci :

Prière que je fis sur l’acropole quand je fus arrivé à en comprendre la parfaite beauté.

« O noblesse ! ô beauté simple et vraie ! déesse dont le culte signifie raison et sagesse, toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité, j’arrive tard au seuil de tes mystères ; j’apporte à ton autel beaucoup de remords. Pour te trouver, il m’a fallu des recherches infinies. L’initiation que tu conférais à l’Athénien naissant par un sourire, je l’ai conquise à force de réflexions, au prix de longs efforts.

« Je suis né, déesse aux yeux bleus, de païens barbares, chez les Cimmériens bons et vertueux, qui habitent au bord d’une mer sombre, hérissée de rochers, toujours battue par les orages. On y connaît à peine le soleil ; les fleurs sont les mousses marines, les algues et les coquillages coloriés qu’on trouve au fond des baies solitaires. Les nuages y paraissent sans couleur, et la joie même y est un peu triste ; mais des fontaines d’eau froide y sortent du rocher, et les yeux des jeunes filles y sont comme ces vertes fontaines, où, sur des fonds d’herbes ondulées, se mire le ciel.

« Mes pères, aussi loin que nous pouvons remonter, étaient voués aux navigations lointaines, dans des mers que les Argonautes ne connurent pas. J’entendis, quand j’étais jeune, les chansons des voyages polaires ; je fus bercé au souvenir des glaces flottantes, des mers brumeuses