Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est que sous vos cotillons, notre Lélette, il y avait un moût joli brin de fille, et ça me faisait venir l’eau à la bouche de penser que vous alliez devenir notre femme.

— Ah ! il y a beau de temps de cela ! dit la bonne femme en croisant ses mains sur son giron, et vous ne seriez une si impatient à cette heure, Baptiste !

— À cette heure comme alors, répliqua-t-il avec un joyeux sourire qui plissa toutes les petites rides de sa figure.

La bonne dame se mit à rire à son tour en fourrageant dans les poches de son devantier (tablier). Et j’admirais cette brave femme qui aidait cet homme à vieillir gaîment, et ce brave homme qui, en échange, allongeait doucement la vie de sa femme. Je savais gré à toutes les jolies faïences du dressoir de leur rappeler les événemens de leur jeunesse passée. Je comprenais maintenant que le vieux couple refusât de les vendre. Chacune de ces assiettes avait vu le jeune charron, pimpant et amoureux, faire la cour à sa ménagère, alors dans toute la fraîche beauté de ses vingt ans. Leurs images naïves avaient réjoui les deux époux pendant le long chemin qu’ils avaient fait côte à côte à travers la vie. Je formais tout bas le vœu qu’ils s’en allassent le même jour, comme Philémon et Baucis, unis dans la tombe comme ils l’avaient été sur la terre, et je me disais : c’est pourtant une bonne chose qu’une bonne femme !

Je fus tiré de mes réflexions par une exclamation de Tristan, qui tenait dans ses mains un grand plat ovale. Sur ce plat était peint un jardinier en galant déshabillé rose, occupé à bêcher un vert jardinet, tandis qu’un petit amour nu lui décochait une flèche ; au bas, y avait deux portées de musique avec ces vers :

Ah! si l’amour prenait racine,
J’en planterais dans mon jardins.
J’en planterais si long, si large
Aux quatre coins,
Que j’en donnerais à toutes les filles
Qui n’en ont point.

— Mais c’est un des couplets de ma chanson ! s’écriait Tristan en dévorant des yeux la faïence.

— La chanson du Jardinier, a repris le bonhomme, je la connais, on la chantait dans mon jeune temps.

— Vous la savez encore?

— Oh! nenni, il y a trop longtemps de ça, et je l’ai oubliée; mais il y a une petite nièce de ma femme qui la sait tout au long et qui la chante bien gentiment.

— Et votre petite-nièce demeure aux Islettes, n’est-ce pas?

— Non, monsieur ; elle s’est mariée en Champagne, mais son