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à l’égal du nègre, et au Paraguay une servitude différente dans la forme, identique dans les résultats, dissimulée sous le nom de réductions, et enfin l’abâtardissement sous la main sévère et le régime militaire des jésuites, jusqu’au jour où leurs voisins actuels se sont alliés pour punir tant de soumission d’une extermination presque complète.

Quant aux peuples qui habitaient les pampas, la Patagonie et les vallées andines du sud, ceux-là sont proscrits et destinés au sort des Charruas et des Caraïbes. Jusqu’au dernier disparaîtront les membres des races pampas, araucanes et patagones qui luttent encore aujourd’hui ; bien peu s’uniront et mêleront leur sang à celui si composite de la race néo-américaine. La guerre est engagée de chaque côté depuis plus d’un siècle avec une cruauté que n’ont ni exercée ni éprouvée les premiers conquérans; il est difficile de décider si elle a été dès le début celle de la civilisation contre la barbarie; il n’y avait alors ni d’un côté ni de l’autre civilisation absolue ni barbarie absolue. Si l’on se reporte aux premiers jours de la découverte, c’est en conquérans et non en explorateurs que se posent les Espagnols, c’est encore le drapeau de la conquête qu’arborent les Américains, sans avoir, plus que leurs prédécesseurs, fait aucune tentative civilisatrice. Là où les Indiens se sont livrés, on a pris ce qu’ils offraient et enlevé ce qu’ils réservaient, on a disposé de tout et de leur vie même, imposé avec la religion nouvelle l’abjuration sous peine de mort : la grande figure d’Atahuallpa, mourant pour n’avoir pas voulu abjurer, se lève pour en témoigner. Sur les rives de la Plata, ces peuples rudes, qui n’ont ni religion, ni poésie, ni agriculture, ni troupeaux, ni abri, ni bien-être d’aucune sorte, ont un culte cependant, celui de l’hospitalité; ils le prouvent à leur hôte inconnu, partagent avec lui leurs biens, si minces et si peu enviables, et ne trouvent en lui qu’un ennemi armé, fermé, résolu à la destruction, pillant et saccageant son malheureux campement au premier prétexte. En trois siècles, quel changement est intervenu, quel progrès s’est réalisé? Une étude bien vivante, publiée ici même, peut en donner une idée[1]. L’histoire des invasions, si elle avait été faite comme l’a été celle de cette dernière, dirait de quel côté était au début la barbarie. Aujourd’hui quelques tribus à peine peuvent invoquer pour défendre leur sol le droit des premiers habitans, mais toutes peuvent combattre au nom des principes de l’humanité violés. Si nous fermons les mémoires officiels, nous trouvons les pièces de ce procès dans la chronique locale, dans les liasses et les archives, si peu soignées jusqu’ici, si difficiles à consulter,

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mai, la remarquable étude de M. Alfred Ebelot intitulée : une Invasion indienne.