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Dans tous les chroniqueurs on trouve la trace de l’impression que firent sur eux les réunions où, dans de longs discours, on traitait de la paix et de la guerre; ces usages parlementaires devaient surprendre des Européens, peu habitués alors à discuter dans des assemblées les questions d’un intérêt national. Olivarez, dans son Histoire militaire, civile et sacrée du Chili, dit qu’il semblait que leurs discours fussent accompagnés du tonnerre, et que leurs gestes étaient des bourrasques violentes. Le père Molina, dans son Histoire civile, remarque que le style de leur discours était au suprême degré allégorique et chargé de figures; ils donnent, dit-il, aux harangues parlementaires un nom spécial et les appellent coyaptucan; ils respectent les lois de la rhétorique classique, divisant leurs discours en deux ou trois parties qu’ils nomment thoi, et annoncent dès l’exorde qu’ils vont diviser en deux ou trois points ce qu’ils ont à dire; ils parlent beaucoup par paraboles ou apologues, recourent à la prosopopée, aux hypothèses, aux réticences, à l’ironie.

Les écrivains plus à même d’apprécier les beautés du langage et tous ceux qui participèrent aux événemens furent frappés de l’effet produit sur les tribus dans tous les grands événemens par les discours des orateurs indigènes. Les traces vivantes de cette éloquence lettrée au milieu d’une sauvagerie apparente, se trouvent non-seulement dans Ercilla, le poète épique de l’Araucana, mais encore dans tous les historiens. Parmi ceux qu’il a été donné aux Espagnols de connaître, et dont l’éloquence leur coûta de rudes défaites et même la mort de Valdivia, arrivée le 27 décembre 1553, il faut citer le jeune Laùtarò dont on a reproduit entre autres le discours qui précéda et amena cette catastrophe. Mariana de Lovera parle encore d’un chef du nom de Machimalongo, qui réunissait toutes les qualités de l’orateur, belle prestance, visage agréable et avenant, jusqu’à paraître aimable aux Espagnols eux-mêmes; il réunissait à une action et à une diction parfaite la science du discours, puissant, ironique, railleur, entraînant. L’historien en cite quelques échantillons, et entre autres l’allocution qu’il prononça dans un des momens les plus critiques de la défense de sa patrie, alors que les Araucans avaient entrepris le siège de la ville fondée par les Espagnols sur les bords du Mapocho. La défense et l’attaque étaient également acharnées : les femmes même défendaient la place. Inès Juarez, ex-concubine de Valdivia, avait de ses mains coupé les têtes de sept caciques prisonniers, et les avait jetées en guise de projectiles aux assaillans : le résultat était incertain; Machimalongo releva l’esprit de ses compagnons d’armes par un discours resté célèbre, que l’historien espagnol rappelle, mais qui nous paraît apocryphe