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Circassiens doivent exciter l’universelle indignation, on ne peut trop exécrer l’odieuse conduite des agitateurs qui, pour servir les vues égoïstes d’états avides de s’arrondir, ont plongé dans la désolation une belle et riche province. Pourquoi, dans sa brochure, M. Gladstone n’a-t-il pas dit son fait à tout le monde ? Pourquoi n’a-t-il pas fait la part de toutes les responsabilités ? C’est qu’il voulait écrire un pamphlet et que l’injustice est le premier devoir d’un pamphlétaire.

Si les Turcs sont un spécimen anti-humain de l’humanité, il faut les chasser d’Europe et même les exterminer. Telle n’est point pourtant la conclusion de M. Gladstone ; il lui suffit que les Turcs retirent de la Bulgarie leurs pachas, leurs caïmacans, leurs zaptiés, leurs mudirs, et qu’ils accordent à cette province une autonomie politique pareille à celle dont jouissent la Serbie et la Roumanie, en ne se réservant qu’un droit de souveraineté nominale. Cette solution est-elle bien pratique ? Il y a en Bulgarie un très grand nombre de musulmans propriétaires qui ne sont ni zaptiés, ni mudirs, ni pachas. M. Gladstone ne nous dit pas nettement ce qu’il se propose d’en faire. Il ne nous dit pas non plus comment il s’y prendra pour inoculer l’esprit de gouvernement à une race longtemps dépendante, laquelle a contracté des habitudes séculaires d’obéissance, et pour lui assujettir ses anciens maîtres, qui seuls possèdent le métier des armes et la science du commandement. Aussi bien n’est-il pas étrange de choisir le moment où un pays a été ensanglanté par une affreuse guerre civile pour dire à des frères ennemis qui viennent de s’entr’égorger : « Désormais vous vous appartiendrez à vous-mêmes ; nous ne souffrirons plus que personne se mette entre vous. » Ces malheureux sont condamnés à vivre longtemps encore sous tutelle, et si leur tuteur n’est pas le sultan, avant peu ce sera le tsar.

Un voyageur allemand, M. Kanitz, aussi consciencieux qu’éclairé, qui a étudié de près son sujet et dont les sympathies pour les Bulgares ne sont pas douteuses, rend témoignage à leurs excellentes qualités, à leurs habitudes laborieuses, à leur industrie, à leur humeur paisible et docile, à leurs vertus domestiques ; mais il est obligé de confesser qu’il ne connaît guère de peuple plus ignorant ni plus superstitieux. Émanciper un mineur incapable de se conduire n’est pas le meilleur service qu’on puisse lui rendre. M. Gladstone a l’air de croire que les Bulgares n’ont pas d’autres ennemis que leurs pachas. Écoutons M. Kanitz : « Plus on étudie les provinces de la Turquie d’Europe, nous dit-il, plus on se convainc que les vices de l’administration et de la justice turques ne compromettent que les intérêts matériels des rajahs, mais que leurs misères intellectuelles et morales doivent être attribuées à l’indigne conduite du patriarcat fanariote, et une haine de races y aidant, ce sont les populations slaves de la Bulgarie que le clergé grec opprime avec le moins de ménagement… Le voyageur qui arrive dans quelque cité bulgare verra toujours se presser devant la porte du pacha de