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qui n’ont pas d’artillerie à lui opposer. On en tire un excellent parti contre les Tartares ; on ne le dresse pas contre les chevaliers porte-glaives ou contre les Polonais ; à ces ennemis bien pourvus de canons, c’est par le canon qu’il importe de répondre. Ivan IV avait apprécié de bonne heure l’effet tout-puissant de l’artillerie, et nul prince de la chrétienté ne rassembla, au XVIe siècle, plus de bouches à feu dans ses arsenaux, n’en garnit dans une aussi large proportion son front de bataille. La cavalerie combattait sans armure, l’infanterie n’avait que de mauvais mousquets dont le canon, grossièrement travaillé et fort lourd, ne lançait cependant qu’une très petite balle ; les belles pièces de bronze de Moscou rétablirent jusqu’à un certain point l’équilibre. Sans leur appui, le vainqueur de Kazan et d’Astrakan aurait eu peu de chances de réaliser ses projets sur les territoires que baigne le golfe de Finlande.


II

Le 25 décembre 1557, jour de Noël, Jenkinson fut à son tour admis en présence de l’empereur. Il fut également convié par l’empereur en personne au grand festin du soir. Ivan IV dînait ce jour-là dans la salle dont un pilier carré, profondément fouillé par le ciseau du sculpteur, soutient seul, comme Atlas, la voûte qui vient y appuyer ses arceaux. Dans cette salle immense, plus de 600 personnes avaient pu trouver place à table. 2,000 Tartares, gens de guerre venus récemment à Moscou pour s’engager au service de l’empereur prêt à entrer en campagne contre les Livoniens, dînaient dans d’autres salles. Jenkinson s’assit seul à une petite table ; il faisait ainsi face au tsar ; nul autre étranger n’avait encore été l’objet de semblable faveur. Toujours courtois, toujours prodigue de ses distinctions envers les Anglais, Ivan Vasilévitch n’eut garde, dans le cours du repas, d’oublier son hôte. Plus d’une fois il lui envoya de sa propre main des bois de vin et des coupes d’hydromel ; il lui expédia aussi plusieurs plats de viande, et tout cela fut apporté à Jenkinson « par un duc ! » Même après les récits de Chancelor et de Killingworth, Jenkinson fut ébloui. Les tables ployaient sous le poids de la vaisselle d’or et de la vaisselle d’argent. Il était telle coupe enrichie de pierreries qui eût valu à Londres 400 livres sterling. Une pièce d’orfèvrerie avait 2 yards de long ; des têtes de dragons admirablement ciselées y flanquaient des tours d’or. Le travail de l’artiste devait avoir doublé la valeur du métal ; mais laissons ces banquets, d’autres spectacles nous promettent un intérêt plus sérieux et plus instructif. Ce qu’il nous faut maintenant aller contempler, c’est la magnificence des saintes cérémonies où le peuple russe, sauvé de la dispersion et de la servitude par le lien sacré qui l’unit,