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poursuivent la recherche ; nous entendons seulement par là la doctrine qui fait entrer la dérogation aux lois de la nature dans le gouvernement du monde. Avant que ces lois ne fussent connues, la philosophie, se plaçant d’emblée dans l’absolu, avait imaginé au-delà du temps et de l’espace, la cause finale créant le monde et pouvant le détruire, le gouvernant par sa propre volonté, laquelle serait la loi même des choses ; — si bien que des philosophes eux-mêmes, sans parler des théologiens, n’ont pas craint d’avancer que c’est la volonté de Dieu qui fait la vérité des choses, même dans l’ordre des axiomes mathématiques. La doctrine du surnaturel avait beau jeu dans cette conception a priori, où rien de fixe ni de stable n’était reconnu dans le développement des phénomènes cosmiques. La Providence, dans un pareil gouvernement du monde, ne connaît pas d’autre loi que sa volonté.

On a beau dire que cette volonté est celle d’une suprême sagesse, et qu’elle n’a pas créé le monde pour le détruire, ni fait les lois de la nature pour les violer. Comme on reconnaît que sa sagesse est supérieure à ces lois, si elle emploie parfois, pour arriver à ses fins, ces moyens extraordinaires pour lesquels la théologie a un nom bien connu, qui pourrait s’en étonner ? C’est ce qui explique pourquoi la philosophie, qui a de tout temps répugné à une pareille doctrine contraire à ses idées sur la Divinité, n’a pu cependant en triompher tant qu’elle a ignoré les lois de la nature révélées par la science moderne. Il n’y avait que cette révélation qui pût ruiner le surnaturalisme, en en rendant le principe incompatible avec les résultats scientifiques acquis. Aujourd’hui, si la théologie peut encore, en vertu d’une mystérieuse autorité, affirmer la toute-puissance d’une volonté souveraine changeant au gré de ses desseins, nous ne disons pas de ses caprices, le cours ordinaire des choses naturelles, la philosophie ne le peut plus. Nulle théologie, à ses yeux, ne prévaut contre l’astronomie des Copernic, des Kepler, des Galilée, nulle métaphysique ne résiste à la mécanique et à la physique des Newton, des Herschel, des Fresnel, des Laplace, découvrant les lois de la pesanteur, de la chaleur, de la lumière, de l’électricité, du magnétisme. En constatant l’existence de toutes les grandes lois qui régissent le monde entier, les sciences de la nature, la mécanique, la physique, la chimie, la biologie ont banni du domaine de la philosophie la doctrine du surnaturel. Donc, alors même qu’elle maintiendrait la cause finale en dehors et au-delà du monde, la philosophie ne peut pas ne point tenir compte des enseignemens de la science. Aussi en est-elle arrivée, chez ses organes les plus libres de préjugés théologiques, à considérer les lois naturelles comme la manifestation nécessaire, éternelle et universelle de la volonté et de la sagesse confondues dans l’essence même