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nous ont appris les voyageurs qui ont étudié les mœurs et l’état social du Céleste-Empire ; mais ne serait-il pas plus philosophique, plus conforme aux données de l’anthropologie et à une saine appréciation de l’histoire, de considérer ce prétendu arrêt de développement comme un stade naturel de l’évolution des races, comme le degré initial d’une série ascendante dont les autres termes nous échappent à raison de l’excessive lenteur qui préside à la succession des cycles organiques ? N’oublions pas que les Mongols connaissaient longtemps avant nous la poudre, l’imprimerie, la boussole, c’est-à-dire les trois grands leviers des temps modernes, — qu’ils peuvent le disputer aux Occidentaux en valeur et en courage, comme le prouvent les formidables invasions dont l’orient de l’Europe a été plusieurs fois le théâtre, — qu’ils l’emportent sur nous en vigueur physique ou tout au moins en puissance de résistance passive au travail, car personne n’ignore que le coolie chinois est l’élément colonisateur par excellence, et qu’il prospère là où succombe l’Européen, où dépérissent l’Indien, le Nègre et le Malais, — qu’enfin ils possèdent d’étonnantes facultés d’assimilation, ainsi qu’en témoignent les rapides progrès accomplis par le Japon depuis qu’il a ouvert ses ports aux navires étrangers. Il n’a peut-être manqué à ces peuples, pour devenir nos égaux, qu’un livre qui leur a fait défaut jusqu’ici, les Élémens d’Euclide ; mais, lorsque parurent les premiers feuillets de ce livre, les nations qui marchent aujourd’hui à l’avant-garde de l’humanité erraient dans les forêts de l’Europe à l’état de tribus sauvages. Il a fallu une longue suite de générations pour que ces peuplades quittassent les langes et les bégaiemens de l’enfance, et pussent épeler les sublimes pages sorties plus de vingt siècles auparavant des écoles d’Ionie, de la Grande-Grèce, d’Athènes et d’Alexandrie, tandis que la nation hellénique, qui avait été la grande initiatrice de ce mouvement, n’est plus depuis longtemps qu’un souvenir historique. Pourquoi ne se produirait-il pas, aux âges futurs de notre espèce, un déplacement analogue dans l’échelle des races au profit de quelque tribu mongolique ? Il arrivera un jour où les hommes de l’Occident, usés par l’immense déploiement des forces vives qu’entraîne le labeur de la civilisation, s’éteindront comme s’éteint tout organisme qui accomplit le cycle normal de son évolution. Si à ce moment les Mongols conservent encore leur vigueur d’aujourd’hui, il est permis de supposer que, grandis à notre contact, ils entreront à leur tour dans l’ère scientifique et seront ainsi appelés à recueillir l’héritage du sol planétaire. Quoi qu’il en soit, quel que puisse être le sort réservé aux derniers représentans de la famille humaine, on peut établir en principe que l’expropriation qui menace les diverses