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dans les villes une population surabondante, libre, mais privée des moyens de travail, et forcée par conséquent de se mettre au service de ceux qui disposent du capital. La suppression des métiers et l’invention des machines a favorisé le développement de la grande industrie, où quelques capitalistes de plus en plus puissans emploient un nombre sans cesse croissant de prolétaires. Chaque augmentation du capital appelle un accroissement proportionnel du nombre des travailleurs. « L’accumulation de la richesse à l’un des pôles de la société marche du même pas que l’accumulation à l’autre pôle, de la misère, de l’asservissement et de la dégradation morale de la classe qui de son produit fait naître le capital. »

Quand on lit le livre de Marx et qu’on se sent enserré dans les engrenages de sa logique d’acier, on est comme en proie au cauchemar, parce qu’étant admises les prémisses qui sont empruntées aux autorités les moins contestées, on ne sait comment échapper aux conséquences, et parce qu’en même temps son érudition, aussi vaste que sûre, lui permet de citer à l’appui de ses thèses des extraits très frappans d’une foule d’auteurs et des faits nombreux et poignans, tirés des enquêtes parlementaires et de l’histoire industrielle et agricole de l’Angleterre. Cependant, quand on va au fond des choses et qu’on regarde autour de soi, on s’aperçoit qu’on a été enveloppé d’un habile tissu d’erreurs et de subtilités entremêlées de quelques vérités. Toutefois il n’est pas facile de s’en dégager : si l’on admet la théorie de la valeur si répandue de Smith, de Ricardo, de Bastiat et de Carey, on est perdu. M. Maurice Block a essayé de réfuter la base principale du système de M. Marx, qui consiste a prétendre que l’ouvrier produit sa subsistance en travaillant seulement une partie de la journée et que l’autre partie est accaparée par le patron, lequel s’en réserve le produit sans compensation. Le fait invoqué par Marx est cependant incontestable. Le maître ne peut donner à celui qu’il emploie la pleine valeur du produit ou l’équivalent de la journée entière, car où prendrait-il, s’il le faisait, de quoi payer l’intérêt du capital, la rente du fonds et le profit ou la rémunération de ses risques et de son activité ? Proudhon a soutenu comme Marx, et bien avant lui, que le dénûment des classes inférieures provient de ce que l’ouvrier avec son salaire ne peut racheter son produit. La remarque est juste, mais il n’en peut être autrement, à moins que le travailleur ne soit comme le petit cultivateur exploitant son propre bien, en même temps propriétaire de la terre, des machines, des subsistances et des matières nécessaires à la production. S’il doit emprunter ces différens agens, il faut qu’il prenne sur son produit de quoi les payer, car on ne les lui prêtera pas gratuitement. Si c’est le fabricant qui en fait l’avance, il doit prélever sur le produit total du travail de l’ouvrier