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les troubles intimes du cœur et à saisir le caractère, les nuances d’un paysage. C’est son originalité, c’est le secret d’un art plein de puissance et de séduction. Certes dans cette carrière de près d’un demi-siècle, depuis le lendemain de la révolution de juillet, où elle faisait son entrée éclatante par Indiana et Valentine, Mme Sand s’est bien souvent égarée et trompée. Elle a livré son esprit à de dangereux paradoxes, elle a subi avec une étonnante docilité des influences peu dignes d’elle et de son talent. Elle a joué avec des doctrines philosophiques, sociales, dont elle n’avait que faire ; bref, elle a fait quelquefois tout ce qu’il fallait pour se perdre, — et ce qui montre combien la sève était vivace dans cette opulente nature, c’est qu’elle a résisté à tout ; elle a toujours fini par se retrouver, et jusqu’au bout elle a gardé le nerf et la grâce de son génie. On aurait dit même que l’apaisement de l’âge ne lui avait point été défavorable, tant quelques-unes de ses dernières œuvres ressemblaient peu à un déclin.

Soyez cependant le plus poétique et le plus émouvant des romanciers pour que M. Victor Hugo fasse réciter par procuration, sur une tombe, dans un cimetière de village, cette baroque oraison funèbre : « la forme humaine est une occultation. Elle masque le vrai visage divin qui est l’idée. George Sand était une idée : elle est hors de la chair, la voilà libre ! elle est morte, la voilà vivante ! Patuit dea… » Voilà qui est touchant, qui donne une idée de George Sand et qui a dû paraître bien trouvé aux paysans du Berry accourus pour accompagner celle qu’ils appelaient « la bonne dame de Nohant ! » Ayez aussi la faiblesse d’écrire un jour quelque ce bulletin de la république, » ou de saluer dans Barbes un héros : les républicains ne vous pardonneront pas, même au bord de la tombe, d’avoir pris un jour la liberté d’écrire des pages éloquentes sur la dictature de Bordeaux en 1871 ! M. Sand n’était pas faite pour être d’une secte ou d’un parti ; elle n’était qu’un poète, un des plus grands parmi les poètes du temps, et la simplicité même de ses funérailles est une poésie de plus dans sa carrière d’écrivain.

CH. DE MAZADE.


ESSAIS ET NOTICES.

Les Villes mortes du golfe de Lyon, par M. Charles Lenthéric ; Plon.


Un ingénieur du midi, M. Charles Lenthéric, appelé par ses fonctions à visiter souvent le littoral de la Méditerranée, s’est pris d’un vif intérêt pour ces contrées désolées. Il avait commencé par les étudier en géologue, il a fini par les aimer en artiste. Sa curiosité s’est de plus en plus