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dépouiller leurs maris, leurs frères et leurs fils de leur pouvoir politique, c’est-à-dire d’une chose qui n’est pas absolument inhérente à leurs personnes, mais y a-t-il une loi qui puisse les dépouiller de leur qualité de blancs et transporter ce privilège à ces brutes ? Carpet-buggers et scalawags ont bien conscience de cette infériorité du noir, aussi s’efforcent-ils autant qu’il est en eux de rompre la magie des mœurs anciennes. Des controverses acres et passionnées s’engagent tantôt sur ce point, tantôt sur cet autre. Par exemple, la Louisiane a eu la question des omnibus. A-t-on le droit de repousser un nègre qui veut monter dans le même omnibus que les blancs ? Les carpet-baggers ont prétendu que non et ont tonné contre les préjugés ; les habitans de la Nouvelle-Orléans ont répondu oui, et ont invoqué la liberté. N’est-on pas libre de fréquenter qui l’on veut, de faire commerce avec qui l’on veut, de vendre et d’acheter à qui l’on veut ? Enfin un des derniers gouverneurs de la Louisiane, un certain général Warmoth, homme de tiers-parti, proposa une transaction ingénieuse. Il serait créé une nouvelle classe d’omnibus mixtes, ayant une étoile au front, pour indiquer que les blancs sans préjugés pourraient y monter avec les noirs. Ce projet de transaction valut à son auteur, de la part d’un de ses anciens amis et acolytes, une volée d’injures de l’espèce la plus amusante, parmi lesquelles on en trouve une tout à fait extraordinaire : Lazare ressuscité par Satan d’entre les morts, Warmoth envoya un cartel, un second champion y répondit par des coups de canne en pleines rues de la Nouvelle-Orléans, le battu riposta par un coup de couteau qui étendit son homme raide mort, et l’affaire des omnibus est encore sous le litige.

Cette force des mœurs n’est pas la seule arme de défense du sud. Il en trouve pour le moment une seconde dans le désenchantement assez général qui s’est emparé des esprits à l’égard de la race noire. Les noirs n’ont pas tenu les promesses qu’avaient faites pour eux des vainqueurs trop fanatiques. Aux premiers jours de l’émancipation, il semblait que les nègres allaient devenir en peu de temps les égaux des blancs en fait, comme ils étaient déjà leurs égaux en droit. On allait voir comme ils étaient studieux, laborieux, économes, aptes à la vie de famille ! Une rage d’instruction s’était emparée d’eux ; on ne rencontrait que nègres la tête penchée sur un alphabet et épelant leurs lettres. Cette ardeur n’a pas duré plus qu’un feu de paille, dit M. Dixon. Ils ont bien vite jeté de côté leurs alphabets ou les ont vendus pour boire un coup de whiskey. Ils ne se sont pas montrés plus laborieux que studieux. Chaque jour, les feuilles anglaises et américaines sont remplies de correspondances où l’on se plaint que Sam déserte les plantations de coton, qu’il