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reçu peu auparavant une lettre à laquelle il n’avait pas répondu. Qu’allait-il arriver maintenant ? Tout pouvait être changé ; la fureur de quelques sectaires ajournait peut-être pour longtemps les espérances italiennes. Une réaction vraisemblable, presque inévitable, pouvait emporter tout ce qu’on avait fait. Cavour ne tardait pas à savoir qu’autour de Napoléon III s’agitaient toutes les influences hostiles à l’Italie. Le nonce du pape n’avait pas craint de dire à l’empereur que c’était là « le fruit des passions révolutionnaires fomentées par le comte de Cavour. » L’envoyé de l’empereur François-Joseph avait demandé aussitôt si ce n’était pas le moment « d’établir entre la France et l’Autriche un intime accord pour contraindre enfin le Piémont à cesser de protéger les machinations des réfugiés et les excès de la presse. » D’un autre côté, le président du conseil recevait de Londres, de Genève aussi bien que de Paris, l’avis que les révolutionnaires ne se décourageaient pas, qu’ils préparaient de nouveaux complots contre l’empereur et même contre le roi Victor-Emmanuel. Cavour, sans se laisser intimider, ne se dissimulait pas qu’on était en plein orage. « Le temps qui court, écrivait-il, est plein de difficultés et de périls. Chaque jour, ceux-ci et celles-là augmentent. La fureur des sectes n’a plus de frein ; leur perversité accroît les forces de la réaction, qui devient de jour en jour plus menaçante… Si les libéraux se divisent, ils sont perdus, et la cause de la liberté et de l’indépendance de l’Italie tombe avec eux. Nous resterons sur la brèche imperturbables et résolus ; mais nous tomberons certainement si tous nos amis ne se serrent pas autour de nous pour nous aider contre les assauts qui nous seront donnés de toutes parts. »

La situation avait en effet une gravité singulière, et le premier de tous les dangers était l’emportement effaré qui semblait régner à Paris. Le gouvernement français n’avait pas besoin d’être excité. En présence d’un complot meurtrier exécuté par des mains italiennes, préparé en Angleterre, signalé comme l’œuvre préméditée d’un cosmopolitisme révolutionnaire obstiné aux conjurations et à l’assassinat, il se contractait pour ainsi dire sur l’heure dans un mouvement convulsif de réaction. Tandis qu’un général entrait au ministère de l’intérieur, le chef de la diplomatie française, le comte Walewski, s’adressait de toutes parts, à Londres, à Bruxelles, à Berne, à Turin, pour réclamer des répressions, des garanties, des sûretés contre le droit d’asile, contre les émigrations, contre la presse. On perdait même la tête jusqu’à mettre dans le Moniteur des adresses soldatesques, bravades inutiles et offensantes pour l’Angleterre. A Londres, les démonstrations françaises n’avaient guère d’autre résultat que de réveiller les susceptibilités britanniques et de précipiter la chute du cabinet de lord Palmerston, remplacé par