Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

également dans les territoires qu’ils allaient occuper des espèces émises par les derniers conquérans du sol, la monnaie arabe des califes, les dinars d’or et les dirhems d’argent. Les deux faces de ces pièces étaient couvertes de légendes en caractères arabes, sur lesquelles on lisait les noms et les titres du calife régnant, le nom de la ville où elles avaient été frappées, puis la date de l’émission, généralement unie à des inscriptions pieuses en l’honneur de Dieu et de son prophète. On sait que la loi musulmane interdisait toute représentation de la figure humaine. Partout où la conquête arabe s’était étendue comme une marée montante sur les plus vieilles provinces de l’empire grec, les dinars des califes, que les croisés et leurs chroniqueurs appelaient besans sarrasins, circulaient en grande quantité.


II

A peine en possession de leurs nouvelles et étranges principautés, îles flottantes au milieu de l’océan musulman, les chefs élus des croisés, les rois de Jérusalem, les comtes d’Edesse, les princes d’Antioche, les comtes de Tripoli, songèrent à frapper monnaie à leurs nouveaux titres. On sait quel fut à ce sujet et de tous temps l’empressement des conquérans, aussi bien des plus grands vainqueurs que des plus minces aventuriers et des plus chétifs parvenus : de nos jours encore, il n’est pas de principicule heureux, pas de président éphémère d’une république américaine, pas de commune révolutionnaire, pas de comité insurrectionnel un instant triomphant, qui ne se hâte de faire frapper monnaie à sa plus grande gloire. C’est une façon d’annoncer son triomphe urbi et orbi ; c’est une manière aussi, pour ceux que dévore l’ambition d’Erostrate, de se survivre sûrement à eux-mêmes et à leur victoire d’un jour ; mais ce n’étaient point de pareils soucis de gloire posthume qui tourmentaient les barons du moyen âge, tous ces princes, ces seigneurs, ces évêques, qui faisaient frapper monnaie partout et toujours, dans leurs villes et leurs châteaux. Et pour ne parler que des rudes guerriers des croisades, s’ils étaient ambitieux, avides d’acquérir gloire et renommée, ils l’étaient bien plus d’accroître leurs ressources pécuniaires et de ramener l’abondance dans leurs coffres sans cesse épuisés. Or, de tous les droits dits régaliens dont jouissaient les souverains ou les possesseurs de fiefs, le droit de frapper monnaie fut toujours un des plus fructueux. Le suzerain en possession de ce privilège en avait la plupart du temps la seule et complète direction ; il pouvait à son gré, et aussi souvent qu’il lui plaisait, retirer sa monnaie, la remplacer par une émission d’un titre inférieur, forcer ses sujets à rapporter à sa monnaierie les pièces