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venue. — Je répliquai : Je vous ai donné des preuves de ma modération et de ma prudence, je crois qu’en politique il faut être excessivement réservé en paroles et excessivement décidé en actions. Il y a des positions où il y a moins de danger dans un parti audacieux que dans un excès de prudence. Avec La Marmora, je suis persuadé que nous sommes en état de commencer la guerre, et pour peu qu’elle dure, vous serez bien forcés de nous aider. — Lord Clarendon reprit avec une grande vivacité : Oh ! certainement, si vous êtes dans l’embarras, vous pouvez compter sur nous et vous verrez avec quelle énergie nous viendrons à votre aide… » Et Cavour ne doutait pas que, lorsqu’un homme aussi réservé que lord Clarendon parlait ainsi, l’Angleterre ne fût prête à se laisser entraîner à une guerre qui aurait pour objet la libération de l’Italie. Seulement c’est là que commençait son illusion, et peut-être même s’exagérait-il la portée réelle des paroles et des sympathies de lord Clarendon.

Une autre des lettres de Cavour à ce moment racontait une visite à l’empereur, en dépeignant cette vie agitée, cette succession rapide d’impressions, et en éclairant les rapports du plénipotentiaire piémontais avec le plénipotentiaire autrichien, « J’ai vu l’empereur, disait-il, je lui ai tenu un langage analogue à celui dont je me suis servi avec Clarendon, mais un peu moins fort. Il l’a très bien reçu en ajoutant qu’il espérait ramener l’Autriche à de meilleurs conseils. Il m’a raconté qu’au dîner de samedi il avait dit au comte Buol qu’il déplorait de se trouver en contradiction directe avec l’empereur d’Autriche sur la question italienne ; là-dessus Buol est allé chez Walewski pour lui dire que l’Autriche avait le plus grand désir de complaire en tout à l’empereur, qu’elle n’a pas d’autre alliée que la France et que c’est pour elle une nécessité de suivre la même politique. L’empereur paraissait satisfait de cette marque d’amitié et il m’a répété qu’il s’en prévaudrait pour obtenir des concessions de l’Autriche. Je me suis montré incrédule, j’ai insisté sur la nécessité d’avoir une attitude décidée et je lui ai dit que pour commencer j’avais préparé une protestation que je remettrais le lendemain à Walewski. L’empereur a paru hésiter beaucoup, il a fini par me dire : Allez à Londres, entendez-vous bien avec Palmerston, et à votre retour revenez me voir. — L’empereur doit en effet avoir parlé à Buol, parce que celui-ci est venu à moi en me faisant mille protestations sur les bonnes intentions de l’Autriche à notre égard, sur sa volonté de vivre en paix avec nous, de respecter nos institutions, et autres balivernes. Je lui ai répondu qu’il n’avait guère donné de preuves de ce désir pendant son séjour à Paris, que je partais avec la conviction que nos rapports étaient empirés. La conversation a été