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LA MADONE DE L’AVENIR.

Le musée des Offices peut non-seulement être fier des riches collections qu’il renferme ; il a le droit de s’enorgueillir de l’heureux accident architectural, — si je puis m’exprimer ainsi, — qui le rattache aux salles princières du musée Pitti. Ces salles sont dignes d’un palais : cependant il faut avouer que les tableaux y sont assez mal éclairés ; mais les chefs-d’œuvre y abondent et semblent briller dans une atmosphère lumineuse qui leur est propre.

Je contemplai longuement plus d’un Raphaël et plus d’un Titien ; puis, comme je voyais que mon ami s’impatientait, je me laissai enfin conduire vers le but de notre voyage — vers la plus belle, la plus touchante des madones de Raphaël, la Vierge à la chaise. De tous les tableaux que l’on ait jamais peints, c’est celui qui prête le moins à la critique. Rien n’y trahit l’effort, la recherche des procédés mécaniques, la lutte presque inévitable entre l’artiste et son rêve, — lutte qui apparaît vaguement dans beaucoup d’œuvres hors ligne. Si vivante que soit cette création, si puissant que soit l’appel fait à nos sympathies humaines, on n’y distingue ni manière ni méthode ; c’est à peine si l’on y reconnaît un style particulier. Elle s’épanouit dans sa beauté harmonieuse comme une improvisation immédiate du génie. Le spectateur ne sait s’il doit attribuer son émotion à la divine pureté ou au charme terrestre de cette figure. Il est enivré par la vue de la plus touchante image de la maternité qui ait jamais souri sur la terre.

— Voilà ce que j’appelle un beau tableau, dit mon compagnon, lorsque nous eûmes admiré la toile en silence. J’ai le droit d’en parler, car je l’ai copié si souvent que je le reproduirais les yeux fermés. Les autres œuvres de Raphaël sont de lui ; dans celle-ci, nous tenons Raphaël lui-même. Ses autres œuvres, on peut les louer, les critiquer, les juger, les expliquer ; celle-ci, il faut se contenter de l’aimer et de l’admirer. J’ignore sous quelle forme l’artiste apparaissait aux hommes lorsqu’il réalisa cette sublime inspiration ; mais, l’œuvre accomplie, il ne lui restait plus qu’à mourir : ce monde n’avait plus rien à lui apprendre, il avait trouvé l’idéal.

— Ne pensez-vous pas, répondis-je, qu’il a eu un modèle, et qu’une belle jeune fille…

— Aussi belle que vous voudrez ! Cela ne diminue en rien le miracle. Il a dû regarder autour de lui, sans doute, et peut-être votre belle jeune fille souriait-elle derrière la toile. Mais déjà l’idée du peintre avait pris son essor. Nuls contours humains, si admirables qu’ils fussent, ne pouvaient l’enchaîner à la trivialité du fait vulgaire. Il prête la perfection aux formes de son modèle ; sans tâtonnemens, sans un coup d’aile de plus, il s’élève à la hauteur de son