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des poils glanduleux imperceptibles à l’œil et dont le microscope seul fait voir la très élégante structure. Ce sont à la fois des organes de digestion et d’absorption. Trop courts pour pouvoir s’infléchir à la façon des tentacules du drosera, incapables de mouvemens pour leur propre compte, ils n’en sont pas moins les excitateurs des mouvemens lents et généraux par lesquels le limbe de la feuille embrasse et englue sa victime.

À l’état de nature, en pleine campagne, les feuilles de la grassette commune se montrent presque toujours avec des insectes ou des débris variés de plantes adhérens à leur surface. On pourrait croire qu’il n’y a là qu’un pur accident, et sans doute la chose s’explique ainsi pour des brins de mousse, des feuilles de bruyères et des corps inertes que le vent soulève et pousse au hasard ; mais la présence des insectes est le fruit d’une vraie chasse, d’un acte vital de la plante. Qu’on mette en effet au bord à peine infléchi d’une feuille une rangée de petites mouches, lentement, mais sûrement, ce bord s’enroulera sur lui-même, tandis que le bord opposé reste immobile. Le même phénomène d’enroulement se produira sur des fragmens de viande ou de blanc d’œuf.

Du même coup, ces substances azotées auront provoqué une sécrétion plus abondante des glandes, auront rendu acide cette sécrétion qui ne l’était pas dans les glandes au repos, bref, auront amené chez la feuille de la grassette les mêmes phénomènes de dissolution que nous ont fait voir en détail les droséracées. Notons pourtant une différence : les préliminaires de la digestion chez les drosera sont relativement assez rapides, cinq ou six minutes suffisent pour qu’un tentacule commence à se mouvoir ; la victime est donc vite engluée et garrottée, mais la digestion proprement dite est assez longue, sans doute parce qu’elle s’achève tout entière sur le point où la proie est fixée. Pour la grassette au contraire, les préliminaires sont très longs, l’enroulement de la feuille extrêmement lent ; mais, une fois la digestion bien en train, c’est-à-dire la substance nutritive bien imprégnée de suc acide, le déroulement de la feuille se fait en peu d’heures, et la proie ramollie glisse d’habitude dans les dépressions de la feuille où s’est ramassé le liquide sécrété : vingt-quatre heures parfois, moins de quarante-huit heures en tout cas, séparent l’enroulement d’une feuille de son retour à l’état d’expansion première. Cette rapidité d’action permet sans doute à la plante de renouveler plus fréquemment ses repas, mais laisse supposer aussi que la substance fournie par les proies vivantes n’est pas toute digérée sur place et qu’elle achève de l’être sur les points où son poids la fait glisser. Dans ce dernier cas, il est même à présumer que la digestion proprement dite s’accompagne d’une putréfaction ultérieure qui n’est plus un phénomène