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ciseaux de Dalila ; la particularité la plus curieuse de leur règle est la prohibition absolue faite à toute femme, à tout enfant, à tout animal femelle, de pénétrer sur le territoire de l’Athos. Ces défenses puériles, pour ne pas dire révoltantes, n’ont jamais été enfreintes depuis dix siècles : elles contribuent plus que toute chose à donner un caractère étrange à ce coin de terre, mis hors la loi de nature aussi loin que la fureur ascétique peut la poursuivre.

Il nous reste à exposer l’organisation toute fédérale et représentative de la république monacale. Vingt monastères chefs se partagent, le territoire de la presqu’île, les skytes[1] ou petits couvens suffragans, et les nombreux ermitages qui le peuplent. Ces vingt monastères envoient chacun un député à l’assemblée générale, qui siège dans la petite ville de Karyès, chef-lieu de la province : cette assemblée choisit parmi ses membres les cinq délégués qui composent l’épistatie ou conseil exécutif chargé de l’administration des affaires communes ; elle élit tour à tour dans chaque couvent et pour un an le protathos : c’est le magistrat suprême de l’état monastique, chargé de promulguer et d’appliquer les décisions de l’assemblée et du conseil. Une taxe payée par les couvens, à raison d’une livre turque (23 francs) pour chacun de leurs habitans, constitue ce qu’on pourrait appeler le budget fédéral mis à la disposition de ce gouvernement. Ajoutons qu’il fonctionne sous la haute direction du patriarche œcuménique, juge, en dernier ressort de toute modification apportée aux antiques règlemens et de tout cas litigieux. Quant aux relations de la communauté avec la Porte, elles se bornent à l’envoi d’un léger tribut annuel (600 livres turques, 13,800 francs) ; le caïmakam chargé de le prélever réside à Karyès, attestant par sa présence fort inoffensive un lien de suzeraineté tout nominal ; ce fonctionnaire et les quelques gendarmes albanais chrétiens dont il dispose sont les seuls habitans laïques du territoire : ils n’y sont admis qu’en se soumettant aux prohibitions édictées contre le sexe qui fait trembler l’Athos, depuis la femme jusqu’à la poule.

Les vingt couvens et leurs skytes se distribuent assez inégalement dans toute la presqu’île, sur les deux versans de la chaîne. La plupart baignant leurs vieux murs dans la mer, au pied des pentes plus douces du versant oriental ; d’autres la commandent du haut de quelque saillie de rocher sur les parois abruptes du versant occidental ; les plus sauvages se dérobent dans les gorges boisées du centre. Avant d’entreprendre le tour du monde monacal, le voyageur doit se rendre à Karyès pour échanger les lettres

  1. On donne indifféremment ce nom (du copte schiet) à ces couvens, aux ermitages et aux solitaires qui les habitent.