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8 REVUE DES DEUX MONDES.

— Non, c’est impossible, dit Henri, il n’y a pas de fontaine ce soir. La pluie noierait nos bateaux de papier; ce sera pour un autre jour. Il se leva et sortit. Ninie se prit à pleurer. Ma femme voulut la consoler. Je ne lui en donnai pas le temps, je la pris dans mes bras et la portai dans mon cabinet pour lui montrer des images. Quand elle fut consolée, je tâchai, sans la questionner, de voir si elle était capable de garder un secret; je lui promis de lui faire de très beaux bateaux de papier le lendemain et de les faire voguer sur le bassin du jardin. — Non, non, dit-elle, ton bassin n’est pas assez joli. Sur la fontaine du pré! c’est là que l’eau est belle et claire. Et puis il y a Suzette qui sait m’amuser bien mieux que toi, mieux qu’Henri et que tout le monde. — Suzette est donc une petite de ton âge que tu as rencontrée là ? — De mon âge? je ne sais pas; elle est bien plus grande que moi. — Grande comme Bébelle? — Oh non, et pas si vieille! Elle est très jolie, Suzette, et elle m’aime tant! — Et pourquoi t’aime-t-elle comme ça? — Ah dame! je ne sais pas, c’est parce que je l’aime aussi et que je l’embrasse tant qu’elle veut. Elle dit que je suis jolie et très aimable. — Et où demeure-t-elle, Suzette? — Elle demeure... dame! je crois qu’elle demeure à la fontaine; elle y est tous les soirs. — Mais il n’y a pas de maisons. — C’est vrai. Alors c’est qu’elle y vient pour moi, pour me faire des bateaux. — C’était donc là ton grand secret avec Henri ? — J’avais peur que Bébelle ne me défende de sortir. Je vis que l’enfant n’avait pas été mise dans la confidence, et qu’elle oublierait facilement la prétendue Suzette, si elle ne la voyait plus avant le retour de sa mère. Je vis aussi pourquoi Henri avait été si pressé d’arranger le vieux gîte de Percemont, car, en dépit de la pluie, il s’y rendit comme il l’avait promis, et ne rentra qu’à dix heures. Dès que sa mère fut couchée, il me parla ainsi : « Je t’ai menti l’autre jour, mon cher père. Permets-moi de te raconter ce soir une histoire vraie ; mais pour débuter vite et clairement, lis cette lettre que j’ai reçue par la poste la veille de la Saint-Hyacinthe.