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monarchie placée au bord de l’abîme. Sa conduite fut-elle de tout point irréprochable, fut-elle même prévoyante jusqu’au bout ? Là n’est point pour nous la question ; bornons-nous à constater que rarement ministre a rencontré plus de bonheur dans sa courte carrière, trouvé tant d’assurance dans le succès, et jusque dans les nécessités fâcheuses parlé d’un ton plus fier et plus hautain. Cette fois le prince de Schwarzenberg parla avec toute l’autorité que lui donnait le droit ; il parla même trop durement peut-être, et la Prusse sembla un moment prête à relever le gant. Frédéric-Guillaume IV demanda aux chambres un crédit de 14 millions de thalers pour l’armement, et prononça un discours belliqueux. L’Europe devint attentive, l’assemblée nationale de France fut sur le point de décréter une nouvelle levée de troupes, et, prélude fatidique d’une tragédie qui ne devait se jouer que quinze ans plus tard, en 1850 comme en 1866, Louis-Napoléon crut devoir encourager le cabinet de Berlin, l’encourager sous main, et en opposition directe avec le sentiment général du pays ! Tandis que l’assemblée nationale en France se prononçait très catégoriquement pour la neutralité et que le ministre des affaires étrangères y inclinait même pour l’Autriche, le président de la république envoyait à Berlin un confident intime, M. de Persigny, avec la mission d’engager le roi de Prusse autant que possible à la guerre. La guerre parut inévitable ; déjà les troupes étaient échelonnées des deux parts, déjà même des rencontres d’avant-postes avaient eu lieu. Tout à coup, et devant un ultimatum menaçant de Vienne, corroboré d’un avis amical de Saint-Pétersbourg, M. de Manteuffel, le président du conseil de Prusse, fit proposer à celui d’Autriche de se rendre à une entrevue à Oderberg, sur la frontière des deux états ; quelques heures même après avoir expédié cette proposition, il lui fit savoir par le télégraphe (procédé alors encore très peu usité) que, sur les ordres positifs de son roi, il irait jusqu’à Olmutz sans attendre sa réponse. Il s’y rendit en effet, et signa là (29 novembre 1850) les préliminaires de paix, les fameuses « ponctuations » par lesquelles la Prusse cédait sur tous les points aux exigences de l’Autriche.

Il n’est pas étonnant qu’une si profonde humiliation, — précédée d’une démarche de détresse jusque-là inouïe dans les annales de la diplomatie, et suivie bientôt d’une dépêche autrichienne qui bien inutilement ne faisait qu’envenimer la plaie[1], — remplit la Prusse libérale de douleur et d’indignation. C’est en vain que M. de Manteuffel essaya de justifier sa conduite devant la représentation

  1. Une circulaire du prince Schwarzenberg, livrée à la publicité par une indiscrétion calculée, après avoir raconté l’incident du télégraphe et la course éperdue de M. de Manteuffel au-devant du ministre autrichien, ajoutait : « Sa majesté l’empereur crut de bon de voir d’obtempérer au désir du roi de Prusse, si modestement exprimé. »