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témoignages de tous ces intendans, M. Blondeau, M. Friant, M. de Lavalette, forment un des épisodes les plus saillans, les plus profitables de l’enquête. La vérité se dévoile tout entière, et avec la vérité apparaît une des causes de nos désastres. De cette confusion ou de cette insuffisance d’une administration compliquée naît invinciblement la pensée pratique d’une réforme qui a été proposée pour simplifier et coordonner les services de la guerre. Lorsqu’on a voulu savoir ce qu’était devenu le matériel militaire de la France, ce qui existait au moment de la guerre, ce qui avait disparu, ce qui restait dans les arsenaux, on a pris le meilleur parti : on est allé dans les arsenaux, on a tout vérifié avec un soin minutieux et des garanties de complète exactitude. On a compté les canons, on a fait la part de la réalité et de la fiction ; on a vu de près tout ce qui en était, les illusions de l’empire, l’insuffisance de toutes les préparations avant la guerre, l’incohérence des opérations de la défense nationale, et le rapport qu’a pu tracer après cela M. Riant est devenu un modèle de netteté, de précision accusatrice.

Dans ces chiffres patiemment rassemblés, dans ces déficits pour suivis à travers toutes les fictions, dans ces marchés que M. le duc d’Audiffret-Pasquier a dévoilés, dans ces scènes si caractéristiques de l’entrée en campagne racontées par M. l’intendant Blondeau, par M. l’intendant Friant, dans ces traits multiples, coordonnés, il y a toute une histoire. C’est la partie de l’enquête la plus sérieusement pratique, la plus utile, parce qu’elle est la plus vraie. Ici la préoccupation politique n’a point de place, elle n’a que faire avec un dénombrement de canons ou une étude des services administratifs. La difficulté commence quand il s’agit des hommes et de leur rôle, du drame des événemens, de la direction des choses au milieu d’une crise inaugurée par la défaite, continuée par la chute d’un empire, dénouée par le démembrement de la France et toujours compliquée du conflit ardent des passions et des intérêts.

C’est M. Saint-Marc Girardin qui l’a dit dès le premier moment : « Nous ne sommes point une commission judiciaire, et notre enquête n’a point à chercher des culpabilités… Nous ne sommes pas non plus un jury d’accusation politique chargé de décréter une poursuite. Nous sommes une commission parlementaire nommée pour rechercher, par une enquête scrupuleuse, les faits et les actions qui ont produit un des plus graves événemens de notre histoire, la guerre de 1870 et la révolution du 4 septembre… » Oui, c’était le programme officiel d’une enquête qui avait assurément un problème épineux à résoudre, puisqu’elle se proposait de « rechercher les faits et les actions, » d’éclaircir les circonstances mystérieuses d’une guerre et d’une révolution sans tomber dans le piège