Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/816

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enquête pourrait paraître d’ailleurs un peu prématurée. Il suffira de rappeler qu’avec le système des nombres et des poids et mesures, avec la division de l’année et de la semaine, avec le rhythme et certaines figures poétiques, les notions de l’arbre de vie, du déluge, du schéôl (enfer) et du péché, — les Sémites sortis de la Babylonie ont emporté de leur long séjour en cette contrée la plupart de leurs cultes et de leurs dieux. L’opinion qui tend aujourd’hui à dominer dans la science[1] considère le panthéon des Sémites de l’Asie occidentale, — opposés toujours avec raison aux Sémites de l’Arabie, — comme fortement pénétré d’élémens mythiques empruntés à une autre race, longtemps supérieure quant aux arts et à l’industrie, en tout cas plus ancienne que les Sémites en Chaldée, je veux dire à la race accadienne ou protochaldéenne non sémitique : il est encore difficile de la désigner avec une entière exactitude, mais elle parlait sûrement une langue agglutinative et avait inventé l’écriture cunéiforme.

Les dieux et les déesses de la Phénicie ne présentent pas la belle ordonnance du panthéon assyrien avec ses douze grands dieux. Dans leur migration au nord et à l’ouest, ces dieux ont parfois été essentiellement modifiés, voire transformés ; mais on les retrouve dans la nomenclature divine des peuples de Syrie, dans les noms des villes, des montagnes et des fleuves. M. Renan a fort bien vu que, pour la Phénicie en particulier, il fallait renoncer à l’idée d’une religion phénicienne unique. « Chaque ville, chaque canton, avait son culte, qui souvent ne différait des cultes voisins que par les mots ; mais ces mots avaient leur importance, nulle part il ne fut plus nécessaire qu’ici de redire l’axiome : nomina numina. » Ainsi que chez les Hébreux, les noms divins à Byblos étaient El, Adonaï et peut-être Shaddaï. Si l’on songe que les Giblites avaient un temple portatif traîné par des bœufs comme l’arche d’Israël, et que « la ville des mystères, » comme s’exprime un document égyptien de la XIXe dynastie, n’était pas moins une ville sainte et de pèlerinage que Jérusalem, on inclinera à voir, avec Movers, dans cette famille cananéenne, celle de toutes qui présente le plus d’affinité avec les Hébreux. »

Le Liban est encore une terre sainte comme aux jours où Sidon était la reine des mers : seulement saint George, saint Elie et le prophète Jonas ont remplacé Baal, Adonis ou Élioun, et les chapelles chrétiennes n’ont plus en commun avec les temples et les « hauts-lieux » anciens que les matériaux dont elles sont construites ; mais les temples maronites, bâtis sur l’emplacement des anciens,

  1. Voyez le beau travail de M. E. Schrader, Semitismus und Babylonismus, dans les Jahrbücher für protest. Théologie. Iena 1875.