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jour où le gouvernement français avait brisé par ses complaisances gratuites envers la Russie ce faisceau des trois grandes puissances occidentales qui pouvait seul en assurer l’exécution efficace. Depuis lors l’acte n’avait cessé de s’en aller par lambeaux, d’être violé dans la plupart de ses stipulations, et la conférence de Paris, chargée nominalement de veiller au maintien du traité, s’était toujours bornée, ainsi que le faisait observer la dépêche autrichienne, « à donner après coup sa sanction à des faits accomplis en dehors de son action et qui étaient en désaccord avec les conventions placées sous sa sauvegarde. » Du reste, dès le lendemain de Sadowa, le prince Gortchakof ne s’était pas fait faute de saisir la première occasion pour dresser en quelque sorte l’épitaphe du traité de Paris. « Notre auguste maître, disait le chancelier russe dans un document daté du 20 août 1866 et marqué au coin d’une fine ironie, notre auguste maître n’a pas l’intention d’insister sur les engagemens généraux de traités qui n’avaient de valeur qu’en raison de l’accord existant entre les grandes puissances pour les faire respecter, et qui aujourd’hui ont reçu, par le manque de cette volonté collective, des atteintes trop fréquentes et trop graves pour ne pas être invalidés... » C’est précisément cette volonté collective que M. de Beust entendait faire revivre et rendre sérieuse en projetant la révision de l’acte de 1856. D’après son sentiment, le traité de Paris n’avait pas atteint son but, qui était d’assurer l’intégrité et la vitalité de l’empire ottoman. D’un côté les puissances occidentales ont imposé à la Russie sur les bords de l’Euxin une restriction de ses droits de souveraineté qu’un grand empire ne pouvait pas accepter à la longue et dont tôt ou tard il devait chercher à s’affranchir. De l’autre côté et par rapport aux populations chrétiennes du Levant, on se contenta d’enregistrer un firman promettant des réformes, et d’abandonner la Turquie à elle-même au lieu de réserver à l’Europe un moyen de peser par une douce violence et d’une manière permanente sur le gouvernement ottoman afin qu’il remplît ses devoirs envers les raïas, et que par une administration sage et honnête il devînt indépendant et fort. Le traité de Paris n’avait fait, estimait le ministre autrichien, que rendre à la Russie ce que la guerre de Crimée avait dû lui disputer avant toute chose : le monopole de l’influence sur les raïas; ce monopole, elle continuait de l’exercer comme par le passé, d’une manière latente, il est vrai, mais d’autant plus dangereuse qu’elle ne rencontrait pas de concurrence. M. de Beust voulait rétablir la concurrence ou plutôt il voulait établir un accord général « pour rendre les populations chrétiennes du sultan les obligées de l’Europe entière en les dotant, par les soins de toutes les cours garantes,