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pour faire réformer « une multitude d’abus. » C’est le témoignage que lui rend un de ses confrères du XVIIIe siècle dans un panégyrique très curieux signalé par M. de Falloux. On ne peut lire cet éloge d’Henri Cochin sans penser au portrait que La Bruyère a tracé de l’avocat. « La fonction de l’avocat est pénible, laborieuse, et suppose dans celui qui l’exerce un riche fonds et de grandes ressources. Il n’est pas seulement chargé, comme le prédicateur, d’un certain nombre d’oraisons composées avec loisir, récitées de mémoire, avec autorité, sans contradicteurs, et qui, avec de médiocres changemens, lui font honneur plus d’une fois ; il prononce de graves plaidoyers devant des juges qui peuvent lui imposer silence, et contre des adversaires qui l’interrompent ; il doit être prêt sur la réplique ; il parle en un même jour, dans divers tribunaux, de différentes affaires. Sa maison n’est pas pour lui un lieu de repos et de retraite, ni un asile contre les plaideurs : elle est ouverte à tous ceux qui viennent l’accabler de leurs questions et de leurs doutes… Il se délasse de longs discours par de plus longs écrits, il ne fait que changer de travaux et de fatigues ; j’ose dire qu’il est dans son genre ce qu’étaient dans le leur les premiers hommes apostoliques. » Cette page était toute neuve, toute fraîche, lorsque Henri Cochin commença de s’exercer au palais ; ne dirait-on pas qu’il en fit l’idéal de sa profession et la règle de sa vie ? Il se souvenait aussi du texte de La Bruyère, le magistrat qui, en 1749, chargé d’examiner le panégyrique de feu M. Cochin, ancien avocat au parlement, n’hésitait pas à écrire ces paroles : « c’est honorer le barreau que de louer le plus grand homme qu’il ait produit. »

Peut-être La Bruyère, s’il eût pu assister au succès de Cochin, eût-il été aussi étonné que ravi de se voir pris au mot de la sorte. A vrai dire, il n’avait pas tracé une image d’après nature, il avait combiné une figure idéale, et d’un idéal singulièrement malicieux, puisqu’il s’agissait pour lui d’opposer la rude existence de l’orateur homme d’affaires à l’épicurisme délicat du prédicateur à la mode. Sa surprise eût redoublé, s’il eût vu paraître, à côté de l’avocat apostolique inspiré de son tableau un apôtre d’enseignement et de charité qui démentait ses fines satires. L’avocat et le prédicateur sont mis en contraste dans la galerie du peintre ; au contraire, dans la famille Cochin, ils se font pendant l’un à l’autre de la façon la plus harmonieuse. Cet homme de Dieu continuant l’homme de loi, c’est Jean-Denis Cochin, ne en 1726, mort en 1783, qui a passé sa vie à évangéliser les âmes, à secourir les pauvres, à soigner les malades. Nul n’a laissé de plus touchans souvenirs dans ces domaines du XVIIIe siècle que les grandes crises publiques ont rejetés dans l’ombre. Il appartenait à cette obscure élite du clergé de France